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Visiteurs : devant la façade côté ville

Sa façade orientale est souvent le premier élément du Château que remarquent ceux qui arrivent à Versailles. Presque systématiquement commentée, depuis le règne de Louis XIV, elle fait l’objet d’avis mitigés. Découvrez un éventail des réactions suscitées auprès des visiteurs étrangers grâce aux témoignages recensés dans la base de données « Visiteurs de Versailles », publiée par le Centre de recherche du château de Versailles (CRCV).

Vue de la façade du château de Versailles du côté de la cour de Marbre, anonyme, 1668-1670, dessin crayon noir, lavis gris, trace de sanguine © château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin.

Dès la fin des années 1660, alors que le Château n’est encore qu’une résidence de plaisance, la façade orientale fait débat. Parmi les témoignages les plus anciens émanant de visiteurs étrangers, celui de l’aristocrate romain Lorenzo Magalotti, en 1668, relève déjà « les nombreux défauts architecturaux et les nombreuses impropriétés qui n’ont pas grand-chose à voir avec la symétrie d’une résidence royale ». Son principal reproche : l’hétérogénéité des couleurs, des matériaux et l’architecture, passée de mode, du bâtiment.

Matériaux et couleurs : « presque tout est noir »

Le premier point cristallise de nombreuses critiques, à l’instar de celle de Thomas Gray, étudiant anglais venu en 1739. Remarquant la teinte noire due au vieillissement de la pierre, le rouge « sale » des briques et le jaune des dorures ternies, il conclut : « vous ne pouvez voir un ensemble plus désagréable », « et bien ! est-ce là la grande façade de Versailles ? Quel grand amas de petitesse ! ». Et pourtant, son ami Horace Walpole qui l’accompagne lui avait laissé le soin de faire l’éloge du lieu, que lui-même considère avec dédain.

Le Château. Façade sur la cour royale, par Gustave Pamard,1894-1907, tirage argentique, © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin.

Le regard se fait plus acéré à mesure que le temps passe et que le bâtiment se dégrade. Ainsi, en 1767, lors de sa première visite, Benjamin Franklin considère que la façade « avec ses murs usés, moitié en briques, et ses fenêtres cassées, n’est pas beaucoup mieux que les maisons de Durham Yard [à Londres] ». L’architecte suédois Erik Palmstedt est du même avis et s’essaie également à la comparaison. Pour lui, le Château « ressemble plutôt à une ville allemande avec des maisons en colombage. […] Presque tout est noir » (1780).

Accumulation et confusion : « plus vaste que beau »

La superposition de bâtiments anciens et récents, due aux constructions successives, est une autre source de réprobation. Cette accumulation créé un effet de confusion qui perturbe les visiteurs étrangers, nombreux à utiliser le mot anglais « pile » ou « heap » (« amas », « tas ») pour qualifier le Château vu depuis l’entrée.

Pour Heinrich Sander, « on ne voit rien qu’un assemblage de nombreuses tours, colonnes, fenêtres et statues sombres et lugubre », de sorte que le Château « fait très peu impression sur des étrangers » (1776). Cela rend les bâtiments « denses et confus », pour reprendre les mots de George Monckton (1788), cachés par « des pavillons, certains anciens, d’autres neufs, qui ne sont pas construits dans le même goût et la même architecture » (Mikael Hisinger, 1784). En somme, comme le résume le Lituanien Bohusz en 1778, « le palais ne semble élaboré que pour les architectes ».

Vue du château et des jardins de Versailles, prise de l’avenue de Paris, par Pierre Patel, 1668 © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin.

Le Hambourgeois Johann Jacob Volkmann fournit un élément d’explication. Le défaut viendrait principalement du bâtiment originel commandé par Louis XIII, « cette vieille pièce, que Louis XIV a laissée debout, ancienne et moins belle ». Ce choix, selon John Durant Breval, ne serait pas dû à l’architecte, mais aux ministres, par souci d’économie. Sophie von La Roche, quant à elle, relaie plutôt l’idée d’un « respect filial » de Louis XIV envers son père, « seule mais très belle explication de cette exécution critiquable ».

Proportions : « plus vaste que beau »

À la confusion s’ajoute, pour certains, la disproportion de l’ensemble. Dès 1675, alors que l’Enveloppe de Le Vau vient d’être construite, l’Anglais John Clenche note que les ailes sont « trop longues par rapport au corps [central] ». Pour Alban Butler, venu en 1744, « le palais semble trop volumineux pour sa hauteur ». Ellis Veryard concède qu’il est « trop bas », mais ce défaut « est toutefois compensé par la pente douce sur laquelle il est bâti ».

Vue du château de Versailles du côté de la place d’armes, par Pierre-Denis Martin le Jeune, 1722. © Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï.

Cette impression est, selon Palmstedt, encore renforcée par les trois cours « qui ne sont pas grandes », en particulier la dernière, la cour de Marbre, qui « donne un aspect insignifiant et resserré au corps de logis du Château ». En somme, comme l’expriment à la fois Lady Montagu en 1717 et George Monckton en 1788, Versailles apparaît « plus vaste que beau ».

« Le haut toit de la Chapelle »

Un dernier élément qui fait débat au sujet de la façade côté ville est la rupture de perspective qu’implique la Chapelle royale. « Cela détruit l’uniformité de la vue », comme l’écrit notamment Harry Peckham, vers 1768. James Saint-John, en 1787, est d’accord, et ajoute même que « le toit de la Chapelle ne montre rien de la véritable beauté ou architecture, étant [à l’image d’] un simple morceau de pain d’épice doré ».

Certains sont néanmoins plus nuancés, à l’image de Christoph Lindemann, en 1782, qui trouve que « le dôme de la Chapelle se détache magnifiquement ». Les avis ne sont en effet pas unanimement négatifs : avant 1685, Giovanni B. Pacichelli considère que la façade « présente un aspect merveilleux ».

Vue de la Chapelle royale après sa restauration toute récente © Château de Versailles / Thomas Garnier.

À un siècle et demi d’écart, John Evans y voit encore une « grande magnificence », due notamment à la Chapelle « qui présente une apparence remarquable et attire immédiatement le regard » (1816). Même avis pour Heman Humphrey, en 1835. Bien qu’encore critiquée, l’entrée du château suscite en effet l’admiration au XIXe siècle, en particulier en raison des événements remarquables qui s’y sont depuis déroulés – entre autres, les 5 et 6 octobre 1789.

Flavie Leroux,
Chercheuse au Centre de recherche du château de Versailles


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Les Différentes Nations de l’Europe, d’après Charles Le Brun, XVIIe siècle. © Château de Versailles / Jean-Marc Manaï.

La base de données « Visiteurs de Versailles »

Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés – même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale – sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, Versailles fantasmé, Versailles détesté.

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