Réveiller les fontaines

Au tout début du printemps, se déroule, comme chaque année, la remise en eau des fontaines de Versailles. Une « mise en charge » bien rodée qui ne tolère aucun faux pas, avec un objectif clair : continuer de préserver le réseau des canalisations qui datent, pour la plupart, du XVIIe et du XIXe siècles.

Début de la mise en eau du Parterre d'Eau. © EPV/Christian Milet.

« Surtout, allez lentement ! », répète Gilles Bultez à son équipe lors de la remise en route des circuits d’eau qui alimentent les jardins du Château. Une consigne plutôt rare dans les milieux professionnels aujourd’hui, et pourtant essentielle aux yeux du chef du service des Eaux et Fontaines. « Trop rapide, l’eau menace de casser net les canalisations au niveau de leurs points faibles. Sous pression, elle agit par coups de bélier, et c’est ce que nous craignons le plus ! », explique-t-il.

Un système gravitaire unique

Ouverture des vannes par l'un des fontainiers du château de Versailles. © EPV/Christian-Milet.

C’est donc avec beaucoup de précaution que les fontainiers, par équipes de deux, interviennent dans les domaines de Versailles et de Trianon, mais aussi de Marly et de Saint-Cloud. Une véritable campagne qui prend, au Château, environ quatre semaines1. Bassin après bassin, fontaine après fontaine, ils libèrent l’eau de son profond sommeil, depuis le grand réservoir de Montbauron, dominant la ville, jusqu’en bas du Tapis vert, suivant ainsi la logique de ce dispositif qui a la particularité d’être resté gravitaire. Bien que des pompes la fassent aujourd’hui remonter depuis le Grand Canal, c’est toujours le seul poids de l’eau qui crée la pression nécessaire à sa circulation jusqu’aux bouches des fontaines et au-dessus des bassins.

Jets droits, jusqu’à 25 mètres de haut, ou retombants, mais aussi gerbes, cascades et bouillons, ce sont plus de 670 effets d’eau qui ponctuent les allées et les clairières de ces jardins de Versailles, uniques en leur genre. Sous Louis XIV, ils étaient environ 1600 ! Beaucoup d’entre eux ont disparu avec les bosquets qu’ils animaient. Celui des Trois-Fontaines a été restitué en 2004 grâce aux nombreuses représentations et archives qui permettaient de savoir exactement comment il se présentait. Celui du Théâtre d’eau a été remplacé par une interprétation contemporaine, en 2015, par l’artiste Jean-Michel Othoniel. Mais l’on ne peut plus aujourd’hui s’étonner de celui du Marais, au centre duquel un faux arbre formait un parapluie d’eau tandis que des roseaux artificiels crachaient des jets alentours, ou celui de la Montagne d’eau, au nom évocateur, sans compter celui du Labyrinthe, dont chaque intersection était agrémentée d’une fontaine illustrant une fable d’Ésope.

Les canalisations d'eau sous terre. ©EPV / Thomas Garnier.

Des canalisations d’époque, en fonte grise

Les canalisations qui conduisent l’eau, elles, n’ont pratiquement pas été modifiées depuis leur création. Sous Louis XIV, elles ont été coulées en fonte grise - une première à l’époque - selon des modules d’un mètre. C’est à leur jointure, notamment en niveau des courbures, qu’elles sont les plus fragiles. « Nous pourrions, bien sûr, les changer avec des matériaux actuels plus ductiles, qui fléchissent sous les coups de la pression, mais nous luttons pour conserver ce système qui a tenu bon près de 300 ans. Je pense, en particulier, à une conduite du bassin des Enfants dorés, restauré en 2016, qui affleurait le sol. Il aurait été beaucoup plus facile de la changer une bonne fois pour toute, mais nous avons trouvé une solution pour la maintenir en place », raconte Gilles Bultez, non sans fierté.

L'eau monte peu à peu dans les bassins. © EPV/Didier Saulnier.

Cet ensemble n’a pas d’équivalent dans le monde, et l’équipe qui s’en occupe non plus. Ils sont une dizaine dont la plupart travaillent ici depuis longtemps, accompagnant les « petits derniers », recrutés avec soin. Le métier est tellement rare qu’il n’existe pas de formation spécifique. Souplesse et curiosité sont avant tout demandées pour être apte à veiller sur cet immense manège qui n’en finit pas d’émerveiller. Le domaine de Trianon, qui compte également de magnifiques fontaines, fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Son Bassin carré vient d’être restauré, son grand lac nettoyé, ses berges en cours de reprise, et ce sera bientôt au tour du Buffet d’eau, splendide équipement hydraulique, revêtu de marbres somptueux, d’être réparé et remis en eau correctement. De quoi mettre à l’épreuve le savoir-faire et la vigilance de Gilles et de ses fontainiers.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Pour la mise en décharge, lire Fermons l’eau des fontaines 

© EPV/Didier Saulnier.

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