Visiteurs :
Trianon in love

Le mythe de Versailles tel qu’il se construit dans l’imaginaire des visiteurs étrangers associe souvent au lieu des personnages emblématiques, notamment le Roi et ses maîtresses. Comment ces amours sont-elles perçues ? Petit aperçu à partir de la base de données « Visiteurs de Versailles », publiée par le Centre de recherche du château de Versailles (CRCV).

Vue du Petit Trianon depuis ses parterres. © EPV / Thomas Garnier.

La question des amours royales est fortement liée à l’histoire du domaine de Versailles : d’abord refuge pour abriter la relation de Louis XIV avec Louise de La Vallière, le château de Louis XIII aurait ensuite été transformé sous le règne de la flamboyante marquise de Montespan, avant de devenir un lieu plus austère avec Mme de Maintenon. Cependant, c’est un autre espace que les voyageurs étrangers, venus au long des XVIIIe et XIXe siècles, associent généralement aux maîtresses : Trianon.

Vue du Grand Trianon depuis ses jardins. ©EPV / Didier Saulnier.

Lieu des plaisirs faciles et résidence des maîtresses du Roi

Le Petit Trianon, achevé en 1768, de même que le Grand Trianon, qui remplace vers 1687 le Trianon de porcelaine, ont tous deux la même vocation : accueillir le roi et un cercle réduit d’invités de son choix à l’écart de la cour, pour des fêtes exceptionnelles ou des retraites plus ou moins courtes. Pourtant, les voyageurs qui visitent les lieux au XIXe siècle s’en font une idée différente et, à la lecture de certains mémorialistes fameux, leur attribuent une destination plus précisément licencieuse.

Détail du décor de la chambre du Roi au Petit Trianon. ©EPV / Thomas Garnier.

Venu en 1802, l’Anglais John Dean Paul y voit un domaine « destiné à des plaisirs faciles, en dehors du cérémonial officiel de la cour », tandis que son compatriote Edmund E. Eyre précise, au sujet du Petit Trianon, qu’« à l’origine Louis XV l’a fait construire pour loger sa maîtresse ». Si, en 1815, l’Écossais James Simpson évoque encore la recherche d’une « débauche de luxure » chez les monarques français, d’autres se focalisent plutôt sur les bénéficiaires de la faveur. Pour Esther Lucie Domeier, par exemple, il s’agit de résidences où « les maîtresses des anciens rois habitaient et se délectaient, sans doute maudites par la nation, mais non encore tourmentées ».

Protagonistes

Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour, en "belle jardinière", par Charles-André Van Loo, 1754-1755. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Jean-Marc Manaï.

Mais de qui parle-t-on ? Un contemporain originaire de Lituanie, Franciszek Ksawery Bohusz, voit le Petit  Trianon en travaux à la fin des années 1760. Il précise que l’appartement alors dédié à la reine a auparavant été occupé par deux maîtresses de Louis XV : d’abord la marquise de Pompadour et, après son décès, la duchesse de Lauraguais. Néanmoins, les visiteurs venus au XIXe siècle n’évoquent aucune de ces deux figures. Ils considèrent plutôt que le Bien-Aimé a fait construire le Petit Trianon pour sa maîtresse suivante, la comtesse Du Barry – ce qui est vrai, dans une certaine mesure, puisqu’elle est la première à avoir occupé les lieux après le décès prématuré de Mme de Pompadour.

Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon (1635-1719), par Pierre Mignard dit le Romain, vers 1694. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Jean-Marc Manaï.

Quant au Grand Trianon, tous s’accordent pour y voir un écrin destiné à la marquise de Maintenon, épouse morganatique de Louis XIV, que l’Américain John Mackinnon qualifie en 1887 de « vieille sultane ».

Dans ces « petites maisons discrètes »

Cette association aux amours royales éveille particulièrement l’imagination de certains écrivains étrangers venus visiter les lieux, à l’image du Prussien Karl Gutzkow. Dans une lettre écrite le 16 avril 1842, il se représente ces « petites maisons discrètes » de Trianon avec des rois « esclaves de nuits sans sommeil », une Mme de Maintenon qui « tenait des audiences » et « écoutait les déclamations des poètes », ou encore une Mme Du Barry qui « se baignait dans les sombres salles rococo et oignait d’huile parfumée ses beaux cheveux que le bourreau couperait en ricanant ».

Jeanne Bécu, comtesse Du Barry, en Flore, par François-Hubert Drouais, 1769. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin.

Le célèbre Mark Twain imagine quant à lui des histoires encore plus savoureuses : une table volante autour de laquelle auraient mangé Louis XIV et Mme de Maintenon puis Louis XV et Mme de Pompadour, « nus et sans service », ou encore une piste de traîneau installée l’été, en une nuit, dans les jardins, à la demande de Françoise d’Aubigné.

« Un pilier de honte »

Si certains s’en amusent, d’autres au contraire critiquent avec virulence ces retraites amoureuses. Dans un dialogue imaginaire, le journaliste anglais John Scott souligne les contradictions qui animent les monarques français : « [Louis XIV] a donc construit ce château pour sa maîtresse, sous les fenêtres du palais national de Versailles où il régnait comme conservateur de l’ordre et de la morale ? ».

D’autres dénoncent les dépenses inutiles en pendant à la misère du peuple, au point d’y voir l’un des facteurs ayant mené à la fin de l’Ancien régime. Tel est notamment le cas du théologien Franz Hettinger qui au début des années 1850 écrit : « Le Trianon et Versailles sont en quelque sorte un pilier de honte de la royauté française. C'est d’ici, mon cher ami, et de nulle part ailleurs que la Révolution est née ».

Flavie Leroux,
attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles


À LIRE ÉGALEMENT :

Sur le fonctionnement de la faveur féminine : Flavie Leroux, Les maîtresses du roi, de Henri IV à Louis XIV, 2020.

Sur Trianon : Jérémie Benoît, Le Grand Trianon : un palais privé à l’ombre de Versailles, de Louis XIV à Napoléon et de Louis-Philippe au général de Gaulle, 2009 et Les dames de Trianon, 2012.


Les Différentes Nations de l’Europe, d’après Charles Le Brun, XVIIe siècle. © Château de Versailles / Jean-Marc Manaï.

La base de données « Visiteurs de Versailles »

Publiée en 2019 par le CRCV, la base « Visiteurs de Versailles » recense les témoignages de ces voyageurs venus du monde entier, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle. Leur particularité ? Des regards variés et distanciés - même s’ils sont parfois influencés par des motivations personnelles ou une culture nationale - sur des aspects que les Français n’ont pas toujours pensé à préciser. Une série d’articles les met en valeur autour de thématiques récurrentes. Ici, les amours royales.

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