Rencontre avec Hervé Niquet

Haute silhouette et veste de velours noir, Hervé Niquet a le visage grave mais le sourire malicieux. Après Richard Cœur de Lion de Grétry en octobre 2019, le chef d’orchestre et fondateur de l’ensemble Le Concert Spirituel retrouve la scène versaillaise. En janvier, il dirigera La Flûte enchantée de Mozart, puis en juin, Platée de Rameau, à l’Opéra royal. Rencontre avec cet érudit féru de baroque et de comédie.

Hervé Niquet © Photographie François Berthier

 

Cet automne, vous étiez en résidence à l’Opéra royal de Versailles pour la création de l’opéra-comique de Grétry, Richard Cœur de Lion. Que dire de cette expérience ?

Notre résidence pour la création de Richard Cœur de Lion correspond à la première production intégrale de l’Opéra royal de Versailles. Ce fut un mois et demi de création, de répétitions, de travail intense, stimulant et gratifiant, avec tous les corps de métiers que génère la création d’un ouvrage lyrique. Être en résidence à l’Opéra royal de Versailles, c’est être au centre d’un volcan, d’une activité artistique insensée. Château de Versailles Spectacles fait festival toute l’année et engage un nombre incomparable d’artistes. Versailles est devenu un centre de création unique en France, porté par Catherine Pégard, mélomane et femme de lettres, et Laurent Brunner qui a rendu à l’opéra sa fonction perdue après 1789.

Pourquoi donner Mozart en français ?

La Flûte enchantée, mise en scène par Cécile Roussat et Julien Lubek, sera chantée en français. Comme Mozart et Emanuel Schikaneder voulurent parler dans la langue de leur public, l’allemand, et non l’italien de l’opéra, nous souhaitions que le public français comprenne tout de ce conte merveilleux et raffiné. J’ai ajouté mon grain de sel à la traduction du xixe siècle, parce qu’il était inconcevable qu’en 2020, cet opéra soit donné dans un vocabulaire datant de mon arrière-arrière-grand-père.

Et revisiter Rameau avec Shirley et Dino ?

Platée de Rameau est une terrible fable mythologique sous couvert de comique. Platée doit survivre à l’humiliation que Jupiter et Junon lui ont fait subir : l’issue est d’une telle cruauté que chaque représentation me laisse la gorge nouée. Faire comédie de cette méchante farce, c’est tout l’enjeu du travail mené avec Shirley et Dino que je connais depuis plus de 10 ans. À mon sens, le comique est bien plus difficile à rendre que le tragique.

Vous vous êtes engagé auprès de l’hôpital des Enfants malades de Necker pour animer des ateliers autour de ces deux œuvres.

Ce projet, que nous avons baptisé « Une flûte pour Platée », est né à l’instigation de Laurent Brunner. Avec des musiciens de mon ensemble, Le Concert Spirituel, nous intervenons une fois par mois à l’hôpital jusqu’en janvier autour de La Flûte enchantée – les enfants assisteront à sa répétition générale à Versailles –, puis jusqu’en juin autour de Platée. Ce projet a demandé un gros travail d’écriture pour rendre les enfants, les familles et l’équipe soignante partie prenante de ces ateliers. En leur racontant La Flûte et Platée, en jouant ces airs, en les reliant à ces œuvres, nous voulons les extraire de leur quotidien hospitalier, des seringues et des cathéters. La musique et le conte sont formidables pour rêver.

De votre rencontre avec la musique baroque, que voulez-vous nous dire ?

J’avais 15 ans lorsque j’ai entendu pour la première fois la claveciniste Simone Folscheid. L’instrument m’a plu, j’en ai construit six ou sept avec un ami. Je me suis penché sur le répertoire lié au clavecin, le baroque, et je me suis laissé happer, jusqu’à en faire ma vie. J’ai commencé comme chanteur aux Arts Florissants, dans Atys, en 1985. Puis, armé de mon mauvais caractère et de l’envie d’exploiter les ressources inexplorées de la musique française, j’ai fondé mon ensemble, Le Concert Spirituel, en 1987.

Il y a deux ans, on fêtait les trente ans du Concert spirituel. Quels sont vos projets après ces décennies d’aventure avec votre ensemble ?

Depuis trente ans, nous avons monté des projets énormes, avec des effectifs extraordinaires. Certains projets sont des jalons dans l’histoire du Concert Spirituel, comme la messe Sopra Ecco si beato giorno à quarante voix solistes, d’Alessandro Striggio, ou encore Water Music et Royal Fireworks, d’Haendel, à vingt-quatre hautbois… Pour toutes les œuvres que nous jouons, nous nous attachons à comprendre le pourquoi, le comment, le lieu et le public pour lesquels ces œuvres ont été conçues, dans la lignée du mouvement de recherche autour du baroque, né il y a une cinquantaine d’années. Aujourd’hui, notre projet, c’est de continuer à être curieux. Et de préparer la grande tournée des quarante ans du Concert Spirituel… et de mes soixante-dix ans !

Quel est votre endroit préféré à Versailles ? 

Versailles est un lieu essentiel dans notre trajectoire. Je pense à la petite loge du maître de chapelle, une pièce tout en boiserie, dotée d’une seule fenêtre et d’une cheminée, au premier étage de la Chapelle royale. C’est là que les maîtres de chapelle composaient, raturaient. Pour la musique, cette pièce est la plus importante du Château.

Propos recueillis par Clotilde Nouailhat.

Die Zauberflöte, représentation à l'Opéra royal de Wallonie-Liège (décembre 2015-janvier 2016) © Photographie Lorraine Wauters.

Die Zauberflöte, représentation à l'Opéra royal de Wallonie-Liège (décembre 2015-janvier 2016) © Photographie Lorraine Wauters.

Die Zauberflöte, représentation à l'Opéra royal de Wallonie-Liège (décembre 2015-janvier 2016) © Photographie Lorraine Wauters.

 


La Flûte enchantée, de Mozart. Du 10 au 14 janvier 2020, à l'Opéra royal de Versailles.

Platée, de Rameau. Du 26 au 30 juin 2020, à l'Opéra royal de Versailles.

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