Le saltimbanque
de l'Opéra

C’est ainsi qu’on surnomme Jean-Paul Gousset au Château dont il est, pourtant, depuis exactement trente ans, Directeur technique de l’Opéra royal. Un « saltimbanque » plein de sagesse, qui a rendu à la salle son ampleur tout en devenant un expert reconnu des théâtres anciens. Avant de partir à la retraite, il nous raconte.

Portrait de Jean-Paul Gousset © château de Versailles / Thomas Garnier.

L’Opéra royal est remarquable par bien des aspects. Pour vous, qu’a-t-il de spécial ?

Lorsque je l’ai découvert, en 1987, j’ai eu la surprise de ne pas me sentir du tout dépaysé. En effet, j’y retrouvai les mêmes infrastructures qu’à l’Opéra de Paris – où j’avais été machiniste durant dix ans – sauf que, ici, elles étaient en bois plutôt qu’en fer. Pourquoi donc ? Plus tard, j’ai compris que Charles Garnier, pressé d’achever le nouvel opéra de Paris, s’était, en effet, inspiré de l’Opéra royal pour doter la scène de cinq dessous. Or cela avait été possible parce que les techniciens de l’époque en avaient gardé la mémoire grâce à une tradition orale que je m’efforce à mon tour de transmettre à mes successeurs. Une tradition qui nous relie directement aux Menus-Plaisirs, cette administration tout à fait hors du commun, chargée de la programmation de la vie de Cour. C’est elle qui eut l’idée, faute de moyens financiers, de faire trois salles en une seule : l’Opéra pouvait se métamorphoser en salle de festin ou de bal grâce à la réalisation d’une structure de bois exceptionnelle reconnue, à partir de 1770, dans toute l’Europe.

La "forêt" qui se déploie sous la scène. © château de Versailles / Thomas Garnier.

Pourquoi cette restauration de l’Opéra royal, entre 2007 et 2009 ?

En 1973, la mise en scène des Noces de Figaro à Versailles est restée dans les annales. Ce qu’on ne sait pas, c’est que Giorgio Strehler a tenté de démissionner par trois fois, trouvant la salle « impossible » ! Lors du concert de réouverture de l’Opéra, en 1990, j’ai enfin compris ce qui n’allait pas : le mur coupe-feu en béton, ajouté en 1955 pour mettre la salle aux normes. Celui-ci avait obligé à détruire l’intégralité de la machinerie des cintres et, plus grave encore, à rogner le cadre de scène de trois mètres de chaque côté, tout en condamnant les deux premiers plans de décor. Plus de 15 mètres séparaient ainsi les acteurs du premier rang des spectateurs !

Les différents plans de décor vus depuis le bord de la scène. © château de Versailles / Thomas Garnier.

Des années, j’ai laissé pendre une massette au bout d’une chaîne et proposé à chaque ministre en visite, qui s’y prêtait volontiers, de casser un morceau de ce maudit mur, jusqu’à ce qu’il soit décidé de le supprimer, grâce à un jeune architecte en chef des Monuments historiques1 et à un chef de projet passionné2.

« Voilà toute ma vie : purger ce merveilleux théâtre de toutes les inutilités passées. »

Nous sommes allés bien au-delà, en restituant les structures de la scène et tous les plans de décor. La fin du chantier a été terrible, nous étions tous épuisés. Il a fallu organiser trois dépoussiérages d’une salle noircie par le chantier, puis accrocher le rideau de scène in extremis, avant le concert inaugural de 2009. Voilà toute ma vie : purger ce merveilleux théâtre de toutes les inutilités passées.

La salle de l'Opéra depuis la loge royale. © château de Versailles / Thomas Garnier.

Que de souvenirs et d’émotions…

Beaucoup d’espoirs, de déceptions et de grandes joies, oui ! Ce qui se passe aujourd’hui, j’avoue que je ne l’avais pas anticipé. La salle, visitée quotidiennement, a toujours fait partie du musée. Je n’imaginais alors que des festivals ponctuels, quelques mois par an, avec la création de décors à l’ancienne, comme ceux, en 2006, du Don Juan de Gluck. Mais le Directeur de l’Opéra et de sa programmation musicale, Laurent Brunner, tout en sachant respecter les lieux, a su imposer une autre vision, et avec grand talent. Reste à rendre à l’Opéra royal, auquel j’ai pourtant moi-même donné ce nom en 19893, ses autres aspects : salle de festin ou salle de bal. Ce seraient des lieux de concert hors pair !

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme, rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1. Frédéric Didier, toujours architecte en chef des Monuments historiques du Château aujourd’hui.
2. Alain Doîne, ÉMOC.
3. Il s’appelait autrefois « Grand-Théâtre de Versailles » et, après avoir servi au Sénat, « Théâtre Gabriel », du nom de son architecte, de 1957 à 1989.


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