Chemins buissonniers depuis L’Allée du Roi

Une exposition est consacrée à Madame de Maintenon dans l’appartement même où elle a vécu. L'écrivain Françoise Chandernagor, qui avait magnifiquement dressé le portrait de la seconde épouse de Louis XIV, revient aujourd’hui sur la postérité de ce destin exceptionnel.

Racine lisant Athalie devant Louis XIV et Madame de Maintenon, par Julie Phlipaut, musée du Louvre. Détail.
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet.

De la « sainte femme » à la « sorcière », vous montrez, dans le catalogue de l’exposition, combien l’image de Madame de Maintenon (1635-1719) a varié au fil du temps. Comment cela s’explique-t-il ?

Madame de Maintenon s’est efforcée de laisser le minimum de traces derrière elle. Son souvenir a donc évolué au fur et à mesure qu’étaient divulguées des informations à son sujet. Tout d’abord, au XVIIIe siècle, les mémoires de sa nièce et de sa secrétaire, qui lui sont favorables. Puis paraissent, entre 1830 et 1850, les écrits de Saint-Simon et de Madame Palatine qui l’accusent, longtemps après les événements, d’avoir soutenu la révocation de l’Édit de Nantes. Mais c’est surtout une édition contrefaite de sa correspondance qui l’a discréditée, jusqu’au milieu du XXe siècle. Jugeant que le sujet de ses vraies lettres était trop rarement politique, un certain La Beaumelle avait, dans les années 1750, largement falsifié celles-ci et en avait fabriqué sans vergogne de nouvelles. Madame de Maintenon, femme d’esprit, écrivait, il est vrai, énormément : aujourd’hui, plus de 4 000 de ses lettres sont authentifiées, dont beaucoup que j’avais moi-même localisées lors de mes recherches pour mon livre.

Françoise d'Aubigné, épouse Scarron, vers 1670. Musée Bernard d'Agesci de Niort. © Thomas Garnier.

 

Depuis la publication de L’Allée du Roi, en 1981, avez-vous fait d’autres découvertes ?

Je vous parlerai plutôt de ce qui s’est passé en parallèle. Il faut comprendre que j’avais choisi de raconter sa vie à la première personne, ce qui me permettait de citer un grand nombre de ses écrits et de rendre le récit plus vivant. En revanche, cela m’empêchait d’aborder certains sujets. Par exemple, si j’avais utilisé la troisième personne, j’aurais montré son ingratitude à l’égard de Madame de Montespan à qui, pourtant, elle devait beaucoup. Je ne pouvais pas non plus la défendre contre certains reproches qui lui ont été faits, à tort, plus tard. Il m’était impossible, par exemple, d’indiquer, à travers ses propres réflexions, les arguments qui prouvaient ses réserves sur la révocation de l’Édit de Nantes. En effet, à l’époque, elle n’avait aucune raison de les exprimer alors que tous louaient la fermeté du Roi, et elle ne pouvait sûrement pas imaginer qu’on lui imputerait un jour cette faute politique ! Je m’étais mise à sa place, c’est-à-dire dans la complète ignorance de la suite de l’histoire.

Ai-je eu tort de lui donner un amant, le marquis de Villarceaux ? Ce dont je suis certaine, c’est qu’elle n’est pas entrée vierge dans le lit de Louis XIV. A-t-elle consommé son premier mariage avec le poète Scarron alors qu’il était, disons-le clairement, paralysé de tout le bas du corps ? Je reste perplexe. Et je continue, par ailleurs, à m’étonner de sa proximité avec le maréchal d’Albret : elle s’est notamment donné beaucoup de mal, à la mort du maréchal, pour se débarrasser discrètement d’un bracelet doté d’un médaillon caché où figurait le portrait dudit maréchal.

Vue de l'exposition au sein de l'appartement de de Madame de Maintenon. Les tentures alternant des lés de couleurs différentes ont été restituées par la manufacture de soieries Tassinari et Chatel. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

L’exposition, qui marque le tricentenaire de sa mort, est présentée dans l’appartement qu’elle a occupé une fois mariée au Roi, à partir de 1680.

C’est vraiment formidable que l’on puisse la découvrir dans les lieux mêmes où elle a vécu plus de trente ans… et dans lesquels, d’ailleurs, elle ne se sentait pas si bien que ça ! Elle n’en avait pas choisi l’ameublement et préférait le blanc ou le bleu aux tons qui ont pu être restitués dans l’exposition (voir encadré plus loin). Elle regrettait de ne pas avoir de paravent contre les courants d’air ni de volets aux fenêtres, au motif que ceux-ci auraient dénaturé la façade donnant sur la cour de Marbre : « Avec le Roi, il faut périr en symétrie », disait-elle. Louis XIV décidait de tout pour elle, de son intérieur comme de sa vie quotidienne, qu’il venait partager quelques heures par jour. Le seul endroit où elle pouvait se réfugier était sa « niche » : d’après un inventaire, je l’interprète comme une sorte d’alcôve démontable où il était possible de loger deux ou trois fauteuils, mais nous n’en avons pas de description précise.

Et Louis XIV, comment se sentait-il dans cet appartement où il venait quotidiennement la rejoindre ?

Madame de Maintenon a détruit leur correspondance, mais les quelques billets et réflexions qui nous sont tout de même parvenus témoignent de l’admiration, du grand respect et de la totale confiance qu’éprouvait le Roi pour sa seconde épouse. Certes, il ne la ménageait pas puisqu’il lui imposait de rester à sa disposition dans ce quatre-pièces, relativement petit, devenu un lieu stratégique pour la Cour. Louis XIV aimait y travailler avec ses ministres et s’y trouvait, lui, très bien, à l’écart de l’agitation du Château ! J’en veux pour preuve que c’est dans la garde-robe de cet appartement qu’il s’attardait, avant de prendre congé de Madame de Maintenon, plutôt que de se soulager devant ses courtisans sur sa « chaise d’affaires », ce qui devait gêner cet homme délicat.

Françoise Scarron et les deux premiers enfants du roi et de Mme de Montespan, attribué à Pierre Mignard, XVIIe siècle. château de Maintenon. © Christophe Fouin.

L’enthousiasme avec lequel vous parlez de Madame de Maintenon montre qu’elle est restée, quarante ans plus tard, proche de vous…

C’est son humour qui m’avait décidée à écrire sur elle, et je reste aujourd’hui sous son charme. J’ai trouvé, après la publication de mon livre, encore d’autres lettres qui illustrent son sens de l’autodérision. Elle s’amusait beaucoup avec ses amies proches et se permettait même de se moquer gentiment du Roi… Elle m’a également marquée dans son rôle d’éducatrice1 qui a été, depuis L’Allée du Roi, très étudié. J’ai souvent pensé à ses recommandations qui m’ont été utiles pour élever mes trois enfants et mes dix petits enfants. Modèle de gouvernante et d’« institutrice », elle n’eut pourtant pas d’enfants elle-même et n’en exprimait aucun regret. Il faut dire qu’elle ne s’entendait pas avec sa mère qui, a-t-elle raconté, ne l’avait embrassée qu’une fois dans sa vie ; mais ayant eu de très bonnes relations avec sa tante, elle a été elle-même une tante exceptionnelle. Jeune femme, je n’aurais pourtant pas aimé l’avoir comme amie : j’aurais craint la compétition. En revanche, j’aurais adoré l’avoir comme grand-mère ou grand-tante, pouvoir discuter avec elle et recevoir ses conseils, toujours intelligents.

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme, rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1. Madame de Maintenon a fondé à Saint-Cyr une maison d’éducation destinée aux jeunes filles nobles et désargentées qui est restée célèbre.

Vue de l'exposition au sein de l'appartement de de Madame de Maintenon. © Château de Versailles / Thomas Garnier.


De la « Belle Indienne » à la « presque Reine »

L’exposition consacrée à Madame de Maintenon retrace, à travers une soixantaine d’œuvres, un destin hors du commun. Rien ne laissait présager, en effet, que la petite Françoise d’Aubigné, née dans une prison et réduite à la misère, animerait un salon littéraire en vue avant de devenir la gouvernante des enfants illégitimes du Roi. Moins encore pouvait-on imaginer qu’elle attirerait, par sa discrétion et sa sagesse, l’attention du souverain. Son appartement a inspiré le scénographe de l’exposition, Jérôme Dumoux, qui, à la demande des commissaires, en a fait restituer les tentures par la manufacture de soieries Tassinari et Chatel. Une alternance de lés de couleurs différentes habille les murs selon une disposition typique à l’époque, depuis le centre des parois jusqu’à leur extrémité. Y seront présentés de nombreux portraits peints et, pour la première fois, deux documents prouvant, depuis peu, cette union improbable qui propulsa Madame de Maintenon aux côtés du « plus grand roi du monde ».


À VOIR


EXPOSITION
Madame de Maintenon, dans les allées du pouvoir
Jusqu'au 21 juillet 2019
Château de Versailles
Appartement de Madame de Maintenon
#MadamedeMaintenon

Commissariat : Alexandre Maral, conservateur général du patrimoine et directeur du Centre de recherche du château de Versailles,
et Mathieu da Vinha, directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles.

Scénographie : Jérôme Dumoux

Horaires : Tous les jours, sauf le lundi, 9 h-18 h 30
(dernière admission à 18 h).

Billets : Accessible avec un billet Passeport ou Passeport 2 jours, le billet Château ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».

AUTOUR DE L'EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition :
À 10 h 30 : 18 et 30 juin ; 3 et 11 juillet
À 14 h 15 : 21 et 28 juin ; 7 juillet

Sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne sur chateauversailles.fr


À LIRE

Le catalogue de l’exposition
Coédition château de Versailles / Hazan, 192 p., 24 x 28 cm, 35 €.

et

Alexandre Maral, Madame de Maintenon, la presque reine, éd. Belin en partenariat avec le château de Versailles, 416 p., 14 x 22 cm, 25 €

Disponibles sur boutique-chateauversailles.fr

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