magazine du château de versailles

Sortie théâtrale

Faire écrire et jouer une pièce à des détenus, c’est un défi plusieurs fois relevé par l’acteur, auteur et metteur en scène Olivier Brunhes. En confrontant, dans un lieu comme Versailles, hommes et femmes de trois établissements pénitentiaires différents, le metteur en scène se saisit d’un théâtre totalement inédit.

Maîtres d’art et peintres décorateurs de l’Opéra royal sont intervenus auprès des détenus de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy et de la maison Centrale de Poissy pour réaliser les trois toiles peintes et les pièces de mobilier qui constitueront les décors de la pièce. © Château de Versailles / Adélaïde de la Dure.

Vous venez de récolter les textes écrits par les détenus à partir d’un thème préalablement choisi, en lien avec la programmation du Château – fêtes et divertissements. Comment les femmes de la maison d’arrêt de Versailles et les hommes du centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy s’en sont-ils emparés ?

Il serait inconvenant de rajouter de la souffrance à des situations déjà douloureuses, souvent incompréhensibles, mais j’avoue avoir été, au départ, sceptique sur ce thème, pour me rendre compte, ensuite, qu’il provoquait une vraie joie chez les participants du projet. L’univers carcéral a néanmoins vite resurgi. À l’hôpital, dès que vous avez enlevé vos vêtements et enfilé la petite blouse verte qui vous recouvre à peine, vous vous mettez à raisonner et à vous organiser comme un patient, et vous oubliez le reste. C’est la même chose en prison : celle-ci investit toutes vos pensées, tout votre horizon. Plus rien d’autre n’existe.

Le thème fait écho au monde fastueux, brillant de Versailles. De quelle manière l’univers carcéral peut-il ainsi transparaître ?

Il s’est clairement manifesté sous la forme des rapports de force, à l’image de l’organisation de la prison, structurée par une hiérarchie forte, doublée par la domination de chefs de clans. Il y a quelque chose de martial, voire de carcéral, au château de Versailles sous l’Ancien Régime, et les détenus ne s’y sont pas trompés en imaginant toutes sortes d’intrigues entre comtes, princes et autres seigneurs luttant pour accéder au pouvoir. Quant aux femmes, elles l’ont exprimé à travers l’oppression masculine dont elles ont souvent été les victimes par le passé. Finalement, se sont imposées des problématiques classiques de nos grands maîtres – Shakespeare, Molière, Marivaux… – où l’on a vite pu retrouver les jeux de scène et la malice qui enchantent le théâtre depuis toujours.

De ces écrits divers à la mise en scène d’une véritable pièce, quel chemin parcourez-vous ?

Il n’y a pratiquement pas de dialogues, ces bouts de textes se présentent plutôt comme des chants intérieurs qui tournent souvent aux lamentations chez les femmes, abondent d’invraisemblances chez les hommes, mais toujours selon une approche morcelée, depuis l’intérieur de leur cellule qui les empêche d’avoir une vision plus globale. À moi d’en tirer un ensemble cohérent qui reste suffisamment simple et ouvert pour convenir à tous. En effet, les autorisations n’étant délivrées qu’au dernier moment, pour des raisons que l’on peut aisément comprendre, je n’ai aucune idée des personnes qui vont finalement endosser les rôles.

De plus, les différents groupes qui interpréteront la pièce, hommes et femmes chacun de leur côté, ne se rencontreront seulement que deux jours avant le spectacle ! Comment, donc, faire surgir un jeu collectif ?

En prison, les contacts sont toujours très rapides, pris à la volée, dans les couloirs, la cantine, lors de la promenade quotidienne, et l’on prend l’habitude de se jauger en quelques minutes, de s’aimer ou se détester d’un seul regard, comme en amour. Les répétitions se déroulent aussi dans une immédiateté qui ne donne aucun droit à l’erreur. Avec le nombre d’heures restreint qui est accordé à ce type de projet, pas question de tergiverser, d’autant moins que, sortis de leur confinement, les détenus ont une soif de l’autre qui crée une appétence spécifique, intense. Beaucoup de choses se mettront en place dès la première séance et prendront très vite, avant la rencontre de tous les comédiens pour unir leur jeu. C’est le jour même de la représentation qui cristallisera les efforts accomplis, ce qui en fera la richesse inouïe.

Et les détenus, que vont-ils retirer de cette expérience ?

Se retrouver sur scène, dans la lumière, face à un public que l’on ne connaît pas, mais aussi face à sa famille, c’est une façon d’exister autrement. Je vous dirais franchement que j’ai peu de retours, mais l’objet de mon travail réside ailleurs. Je n’œuvre pas dans le social, je ne propose pas des ateliers, mais un long voyage artistique en préparant le plus beau spectacle possible, conçu avec la plus grande exigence. Nous avons rassemblé autour du projet une équipe de professionnels de très haut niveau. Rien de moins que la danseuse Noémie Ettlin, le batteur de Benjamin Clementine, Alexis Bossard, ou les comédiens Séverine Vincent et Johann Abiola seront présents sur scène pour faire vivre aux détenus quelque chose d’exceptionnel. Travailler avec Jean Marais, Laurent Terzieff ou Ariane Mnouchkine a bouleversé ma vie. Je connais la puissance de transformation du théâtre par le biais de l’excellence, et c’est par là même que je m’efforce d’entraîner les participants du projet ainsi que les spectateurs.

À l’image d’une institution comme Versailles ?

Versailles, son château, ses jardins, sa galerie des Glaces, pointés du doigt par l’Europe entière, le monde entier, tout comme la prison, l’endroit le plus sordide de notre société : voilà un raccourci tout à fait improbable et qui rend ce projet merveilleux.

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme.

© Château de Versailles / Adélaïde de la Dure.

Le projet a pu voir le jour grâce au mécénat de la Fondation Terrévent et de la Fondation Thierry Velut.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n° 14 (octobre 2018 – mars 2019).


Des partenaires nombreux

Dans sa volonté de promouvoir l’égal accès de tous à la culture, le château de Versailles intervient depuis plusieurs années dans les établissements pénitentiaires de Meaux, Fresnes, Bois-d’Arcy ou Versailles, par des actions ciblées (ateliers, conférences participatives) permettant de faire découvrir les lieux et les collections aux détenus. Avec son partenaire, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation des Yvelines (SPIP 78), le château de Versailles a lancé, en 2017, un projet d’envergure dans les trois établissements pénitentiaires des Yvelines (Versailles, Bois-d’Arcy et Poissy) : la création ex nihilo d’une pièce de théâtre, avec ses textes, ses décors, ses costumes, son jeu d’acteurs. Sur deux ans, jusqu’à la fin de l’année 2018, chaque établissement apporte sa pierre au projet. Ce projet se conclura par une exceptionnelle représentation, bien entendu hors les murs de la prison, à Versailles. Sous la direction d’Olivier Brunhes, la compagnie de l’Art éclair, qui est expérimentée sur ce type de projet, encadre l’écriture des textes et leur mise en scène. Jean-Paul Gousset, directeur technique de l’Opéra royal de Versailles, accompagne la création des décors et des pièces de mobilier, Sylvie Deschamps, maître d’art (les ateliers du Bégonia d’or), celle des accessoires de costumes.

Est-ce que le Roi sera grand ou petit ? Le comte de Bois-d’Arcy, bègue ou beau parleur ? La duchesse de la MAV (maison d’arrêt de Versailles), bien en chair ou menue ? Personne ne pouvant connaître la stature – ni la physionomie ou le caractère – des comédiens à l’avance, les costumes ont été conçus à la maison d’arrêt pour femmes de Versailles sous forme de modules à fixer aux vêtements.

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