Les Anglais l’appellent joliment « nursery », les Français « pépinière », du mot « pépin ». Faire naître, élever et voir grandir : en créant une parcelle dédiée à l’élevage de jeunes plants, le domaine de Versailles renoue avec un pan de son histoire.

Soigneusement engrangés par des écureuils, il y a de cela trente mille ans, des fruits de Silène, conservés dans la glace, ont été retrouvés en Sibérie par des scientifiques russes. Ressuscitée par leurs soins, la petite plante à fleurs, seul témoin de cette époque lointaine, s’est révélée différente de ses homologues actuels. Alain Baraton, à la tête du domaine de Trianon et du parc de Marly, se plaît à évoquer cette découverte récente : elle montre tout l’intérêt de préserver l’hérédité des arbres les plus anciens du parc de Versailles.
Des arbres qu’il considère comme de véritables personnes ayant, à leur manière, contribué à l’histoire du site : « Pensez qu’il existe toujours un chêne qui a vu Louis XIV se promener ! » Ces témoins d’un passé prestigieux, il ne peut s’empêcher de croire qu’ils en ont conservé, quelque part dans leurs racines, une certaine mémoire. En faisant fructifier leur descendance, c’est une histoire, à ses yeux, qui se trouve perpétuée.

Cet automne, selon le calendrier d’usage, ont donc été semés les premiers glands et lancées les premières boutures, recueillis sur ces arbres et arbustes préalablement répertoriés. En bordure du parc a été aménagé l’espace nécessaire, environ un hectare à l’emplacement d’anciennes pépinières royales. À côté de la section « végétaux historiques ou rares » seront également développées les espèces moins remarquables, destinées à l’entretien régulier de l’ensemble du Domaine.
Le château de Versailles compte ainsi gagner en autonomie par rapport à ses fournisseurs extérieurs. Il entend également limiter les pertes lors de l’acclimatation de végétaux importés, parfois, de pays éloignés. Il s’agit enfin d’éviter des transports nuisibles et coûteux dans une démarche d’économie durable. « Lancer de nouveaux plants dans une terre où leurs parents se sont bien développés et ont résisté au climat représente une vraie garantie, explique Alain Baraton, et s’ils ne parviennent pas à y grandir, cela en dira long sur le réchauffement climatique. »

Le projet s’apparente pleinement à une mesure de conservation historique, à l’image de ce qui est mis en oeuvre pour les monuments. Certains des arbres anciens du parc de Versailles, dont des individus rares qui avaient été offerts au Roi, ont peut-être complètement disparu de leur lieu d’origine ou s’y sont modifiés au fil du temps. Qu’en est-il, par exemple, du sophora du Petit Trianon, venu de Chine en 1774 ? Alain Baraton se prend à rêver que le Château puisse ainsi faire don de jeunes arbres à des contrées qui en ont perdu la trace, tels des cadeaux diplomatiques tout à fait de notre temps.

Lucie Nicolas-Vullierme,
Rédactrice en chef des Carnets de Versailles

 


Herbier très attachant

182 liasses et plus de 12 000 spécimens récoltés, identifiés et insérés dans des chemises : l’herbier Philippar – de Boucheman, du nom de ceux qui en furent les principaux instigateurs, renferme des trésors d’information sur le domaine de Versailles, notamment sur le potager et les pépinières de Trianon.
François-Haken Philippar (1802-1849), fils d’un jardinier en chef du Grand, puis du Petit Trianon, et professeur de botanique, fut notamment le créateur du Jardin des plantes de Versailles, à l’emplacement de l’actuelle gare Rive-Gauche. Son herbier fut donné à la Ville et, après moult déménagements, confié à l’Association des Naturalistes des Yvelines (ANY) qui s’applique aujourd’hui à le remettre en ordre, en collaboration avec le service des jardins de Trianon et celui des archives du château de Versailles.
Le Domaine, où l’herbier a été déposé en 2010, vient de mettre à disposition des locaux adaptés dans la Grande Écurie. C’est là que, méticuleusement, des bénévoles, qui agissent déjà pour le compte du Museum d’histoire naturelle, fixent une à une les plantes séchées – ainsi que toute note qui peut les accompagner – à leur feuille d’origine avec un adhésif de conservation. « Le protocole d’attachage respecte au mieux le caractère patrimonial de l’herbier, avec l’utilisation, bien sûr, de matériaux qui ne présentent aucune nocivité pour les spécimens », précise Karine Mc Grath, chef du service des archives du Château. Celle-ci insiste sur l’état exceptionnel de conservation de cet herbier dont, fait rare, les liasses sont encore pressées entre des panneaux de bois, serrés par des courroies.
La première d’entre elles vient d’être complètement terminée, inventaire compris, trois autres sont en cours. Grâce à ce travail de fourmis, le véritable monument végétal, dépoussiéré et trié, prend une autre allure et commence à livrer subrepticement ses secrets…

 

Plan des pépinières de Versailles, « mesurées en 1734 », qui montre leur développement depuis la porte Saint-Antoine. La « pépinière neuve » y est décrite comme étant « plantée d’ormes et tilleuls ».
© Paris, Archives Nationales

 


Versailles, haut lieu des pépinières

La royauté a fait de Versailles – où a été fondé le premier établissement Truffaut, en 1824 – une place de choix pour les pépinières. Leur histoire s’avère, en revanche, complexe. Ces lieux de production, dédiés à la multiplication des végétaux en vue de les transplanter, se caractérisent par leur instabilité, facile comme il est de les développer ou de les déplacer. « Pas moins de dix-neuf sont répertoriés sous l’Ancien Régime, installés aux portes du domaine de Versailles », raconte Gabriela Lamy, chargée de recherche au service des jardins de Trianon.
Alors que la pépinière du Roule, à Paris, était plutôt dédiée aux plantes ornementales, Versailles fournissait en arbres et arbustes l’ensemble des domaines royaux. Louis XIV aimait particulièrement les arbres et souhaitait en avoir beaucoup1. Dans les années 1730, plus de 60 hectares du Domaine étaient réservés à leur production. Un premier site avait été créé à la porte Saint-Antoine d’où se sont déployées, à partir de 1693, les grandes pépinières royales. Des officiers provinciaux de la France entière firent alors parvenir graines et jeunes plants. Selon un document datant de 1755, ces pépinières versaillaises pouvaient fournir, chaque année, « trois cents milliers de charmilles, cent millier de chênes ou de châtaigniers, cinq cents milliers de plants d'épine, ormille, érable et autres en rayons et cinq cents bottes de buis »2.
La fin du règne de Louis XV voit le déclin progressif de ces pépinières, négligées par le Roi qui s’intéresse plus à ses jardins de Trianon où se développent des sites de production florale. Faute d’argent et de main d’oeuvre, elles sont délaissées et investies par le gibier que l’on ménage pour les chasses. Quant à Louis XVI, il décide des grands abattages de 1774 : il s’agit autant de se mettre au goût du jour que de remplacer les arbres sénescents en replantant entièrement le parc de Versailles.

« L’on distingue, à l’issue de la Révolution, trois pôles principaux, explique Gabriela Lamy, le premier au Trianon, le deuxième à l’intérieur du potager du Roi et le troisième, créé en 1798, au Chesnay. Parallèlement se développent, aux alentours, de nombreuses pépinières privées ». Sous Louis-Philippe, seul subsiste le site du Trianon tandis qu’apparaît la pépinière de l’Ermitage, fermée dans les années 1970, puis, en 1848, celle de Chèvreloup, à l’emplacement de l’actuel arboretum.

L.N.-V.

1. D. Garrigues, Jardins et jardiniers de Versailles au Grand Siècle, éd. Champ Vallon, 2001, p. 136.
2. F. Olivesi, « Les regarnis de Versailles et de Trianon à travers vingt commandes aux Pépinières du roi (1753-1772) », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [en ligne].

 

© Albert, Moreau / ECPAD / Defense

 


Des choux pour les poilus

Mai 1917, une centaine de tirailleurs tonkinois investissent les pépinières de Trianon, tout juste réhabilitées. Plus de 200 000 plants de choux sont ici arrachés pour être envoyés aux poilus.
La guerre a, en effet, affamé non seulement les populations – que l’on incite vivement à cultiver leurs propres légumes – mais aussi les soldats, qui ont aménagé des jardins potagers sur le front. L’administration militaire a donc décidé de les fournir en jeunes plants, faciles à transporter, depuis des pépinières dédiées1. Les plants récoltés, serrés dans des paniers, étaient emballés, avec une note explicative, dans l’Orangerie du Château. Ils étaient expédiés sur le front dans un délai de quatre jours. Fin octobre 1917, 26 millions d’entre eux ont été fournis aux soldats qui ont pu ainsi bénéficier d’un plat de légumes à chaque repas.

1. Gabriela Lamy, « Murs-murs” des pépinières de Trianon », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [en ligne].

 


À LIRE

Véritable musée de l’arbre vivant, l’arboretum de Chèvreloup rassemble aujourd’hui la plus riche collection d’espèces (plus de 2 500 spécimens) d’Europe continentale. Situé au nord du domaine de Versailles, il abrite 6 000 m2 de serres qui renferment près de 8 000 plantes pour la conservation et la recherche. Les éditions du Rouergue consacrent un beau livre, illustré de magnifiques photographies et de documents anciens, à ce site tout à fait singulier.

Arboretum de Versailles-Chèvreloup, par Frédéric Achille et Gabriela Lamy, éd. Du Rouergue, 208 p., 25 € env., parution novembre 2017.

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