magazine du château de versailles

Rencontre avec Leonardo García Alarcón

Fondateur de l’ensemble « Cappella Mediterranea », l’Argentin Leonardo García Alarcón est l’invité de Château de Versailles Spectacles. En mars, ce jeune chef prolifique dirigera Il Giasone, opéra de Cavalli, et la Passio per il Venerdi Santo de Veneziano, qu’il a tous deux extirpés de l’oubli.

Leonardo García Alarcón © Marc Vidal.

Vous êtes né en Argentine et avez rejoint Genève pour entrer au conservatoire à 21 ans. Comment avez-vous découvert la musique ?

Leonardo García Alarcón : Enfant, j’ai commencé le piano avec mon grand-père. Ma grand-mère m’achetait des cassettes de musique classique : Beethoven, Chopin…. C’est à la 21e cassette reçue que j’ai découvert Jean-Sébastien Bach. J’avais dix ans. J’ai ressenti quelque chose de tellement fort, de tellement intime, en écoutant la Passion selon Saint Mathieu, que je mettais mes écouteurs pour ne pas avoir à partager cette musique.
Si je suis devenu musicien et si les musiques d’ensemble m’attirent, c’est grâce à Bach que je considère comme l’un des êtres humains les plus extraordinaires du monde. J’ai toujours un très grand plaisir à diriger un opéra, de la musique instrumentale, de la musique sacrée de toutes les époques en Europe… Mais mon « combustible », c’est Bach.

Quelle place avait alors la musique baroque dans votre pays d’origine ?

G. A. : L’Argentine où je suis né, est habitée par le baroque. L’une des premières représentations du Couronnement de Poppée (1640) de Monterverdi, créateur de l’opéra, eut lieu à Buenos Aires. On y dirigeait les opéras de Rameau en même temps qu’à Paris. Aujourd’hui, la musique populaire garde trace de l’héritage que les Jésuites ont laissé au XVIIe et XVIIIe siècles dans notre pays, avant son indépendance en 1810. Notre charango vient de la vihuela espagnole, la harpe paraguayenne est en réalité une harpe baroque espagnole, le clavecin reste présent également. Ce sont aussi les émotions contradictoires et contrastées du baroque que l’on retrouve dans notre musique folklorique.

Vous avez créé l’ensemble « Cappella Mediterranea » en 2005. Son nom résonne comme un hommage aux cultures de la Méditerranée.

G. A. : Le nom de cet ensemble rappelle que la Méditerranée est le berceau de la civilisation occidentale, grecque et romaine mais aussi juive et arabe, de sa pensée philosophique, de ses sciences et de ses arts.

Leonardo García Alarcón et l’ensemble “Cappella Mediterranea” à la Chapelle royale de Versailles, février 2017 © Frederic Maurel

Quelle est la musique que vous défendez ?

G. A.: Quand à la fin d’un opéra, je reçois les éloges d’une personne qui n’avouerait jamais qu’elle aime Charles Aznavour, cela me gêne. Parce que tout ce qui existe mérite notre attention et mérite d’être aimé. Justement, nous voulons montrer à quel point l’émotion réside dans tous les styles de musique. Nous voulons rappeler à quel point au XVIIe siècle, il n’existait pas de différence entre le populaire et le savant. Il y avait des messes entières écrites sur des mélodies de chansons à consonance érotique. Vous pouvez imaginer cela ? L’Europe chantait des airs populaires qui devenaient des musiques sacrées. Aujourd’hui, on veut revenir à cet idéal humaniste de la Renaissance, avant que la musique ne devienne savante.

Et l’opéra ?

G. A. : Justement, l’opéra était une forme populaire, liée au Carnaval où tout est licence sous les masques ! Avec « Cappella Mediterranea », nous aimons montrer à quel point un musicien très savant comme Lully, avec un contrepoint extraordinaire, connaissant la polyphonie, l’harmonie et la science de la musique d’une manière incroyable, a en lui tout le rythme de la danse et de la musique populaires de son pays, l’Italie. Nous nous attachons à ressusciter ces facettes les plus intimes, parfois cachées, des compositeurs.
Mais attention, avec mon ensemble « Cappella Mediterranea », on n’aime pas les vieux manuscrits, les vieux instruments, les vieux compositeurs ! Parce qu’ils n’étaient pas vieux à l’époque… On aime les instruments, les compositeurs et les musiques qui vieillissent bien.
Je crois qu’un Monterverdi ou un Lully ne mépriseraient rien aujourd’hui ce qui relève des cultures populaires. Parce que l’opéra a besoin de personnages très différents, et qui parlent leur propre langue. Le hip-hop, le reggae, le tango, la folk, le fado, le flamenco, ces musiques offriraient des outils extraordinaires pour l’opéra. Alors, avec « Cappella Mediterranea », on peut aussi bien jouer à Versailles, à Paris, dans une scène nationale, que dans une taverne ou pour des danseurs folkloriques.

En mars, vous dirigerez Il Giasone, opéra de Cavalli, et la Passio per il Venerdi Santo de Veneziano. Pouvez-vous nous en parler ?

G. A. Il Giasone, de Cavalli, fut l’opéra le plus joué au XVIIe siècle en Italie et dans tous les pays d’Europe, et même après la mort de son compositeur. On peut comparer ses airs à ceux des Beatles : tout le monde en chantonnait les mélodies. On l’a pourtant oublié pendant longtemps, avant que la fin du XXe siècle ne le redécouvre. Nous voulons jouer cette œuvre pour montrer au public à quel point, encore aujourd’hui, elle peut provoquer des émotions très fortes. Elle rassemble toutes les émotions humaines, organisées de la plus belle manière. Jason, sorte de anti-héros tombé amoureux de la magicienne Médée, y est confronté à des personnages bouffons typiques de la commedia dell’arte du XVIe siècle, des personnages très sexuels qui faisaient rire l’opéra vénitien pendant le carnaval. Aujourd’hui comme en 1637, on doit amuser le public et lui parler du plaisir. Vous allez donc retrouver avec cet opéra un chef-d’œuvre qu’il faut absolument rendre au répertoire de la musique, pour qu’il redevienne l’une des pièces les plus jouées au monde.

Représentation de Il Giasone, de Francesco Cavalli, janvier-février 2017. © Grand Théâtre de Genève / Magali Dougados

Et la Passion de Veneziano ?

G. A. J’ai reçu cette partition qui date de 1685 du musicologue belge David Gluckman. Composée dans la tradition des Passions italiennes, son style est « opératique », très théâtral : l’évangéliste est interpellé par des doubles chœurs et tous les personnages de l’évangile. En étudiant Veneziano, je me suis rendu compte qu’il n’était pas simplement un compositeur à découvrir, sinon un grand compositeur qui ne méritait pas de rester dans les archives des bibliothèques. Cette pièce à la force dramatique énorme était inconnue jusqu’à maintenant. C’est la deuxième Passion que je ressuscite, avec celle d’Alessandro Scarlatti, enregistré l’année dernière.

Vous êtes invité dans les salles et festivals du monde entier. Qu’est-ce que jouer à Versailles représente pour vous ?

G. A. Versailles est l’une des plus grandes machines de création artistique de l’histoire. C’est un lieu qui a inventé un nouveau style, avec Lully et l’opéra français. Traverser Versailles, c’est aussi être entouré de fantômes. Demain, je dirige des œuvres de Lully, un personnage pour le moins intimidant. Il est très présent dans ces lieux, lui qui a tout créé ici. Chaque fois que je suis venu ici pour diriger Cavalli, qu’il avait chassé de Versailles, il m’a joué des tours – je me souviens de la chute d’une chanteuse à la galerie des Glaces, de lumières qui disparaissent… Je m’attends toujours à ce qu’il nous accompagne, même si c’est dans notre imaginaire. Et quand je dirige Lully, je ne suis pas le même que lorsque je dirige Cavalli. Sa musique, avec son tempo royal et ses couleurs de magnificence, comme cette Chapelle royale, transforme les personnes : c’est le pouvoir, la gloire et la danse.

Propos recueillis par Clotilde Nouailhat.

 


SPECTACLES

Il Giasone, de Cavalli, à l’Opéra royal, les 9 et 10 mars.

Passio per il Venerdi Santo, de Veneziano, à la Chapelle royale, le 30 mars.

Retrouvez la programmation de Château de Versailles Spectacles.

Leonardo García Alarcón © Franck Ferville.

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