Une écurie de carrosses

Grâce au mécénat de la fondation d’entreprise Michelin, la galerie des Carrosses du château de Versailles ouvre ses portes. L’une des plus importantes collections de véhicules hippomobiles d’Europe est à admirer, à partir du 10 mai, dans un nouvel espace de 1000 m2 au cœur de la Grande Écurie.

© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

La première impression des visiteurs à la découverte des carrosses de Versailles sera sans aucun doute l’émerveillement. Ces véhicules de grand apparat ont d’ailleurs été conçus précisément pour frapper les esprits. Le carrosse est la synthèse de tous les arts décoratifs français. D’un luxe ostentatoire, ornés à profusion d’ors et de sculptures, leur fabrication entraîne le concours des meilleurs artistes et artisans de luxe : sellier-carrossier, architecte, menuisier, sculpteur, miroitier, charron, serrurier, bronzier, ciseleur, doreur, fondeur, plaqueur, peintre, vernisseur, passementier, brodeur… Madame de Sévigné, dans sa correspondance, rappelle par ailleurs l’émerveillement que lui inspira l’un de ses voyages dans un carrosse particulièrement fastueux : « Nous fûmes hier, mon fils et moi, dans une calèche à six chevaux, il n’y a rien de plus joli, il semble qu’on vole ».

Étude pour le carrosse de la reine Marie-Thérèse, Adam-Frans Van der Meulen (1632-1690) © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Au-delà de sa qualité artistique, la collection est aussi, en quelque sorte, un salon de l’Auto des XVIIIe et XIXe siècles, présentant les plus beaux prototypes et les dernières avancées de la carrosserie française en matière de confort, de performance et de technique. C’est sous le règne de Louis XIV qu’apparaissent les premiers carrosses en France. Vers 1660-1665, à Paris, Jean Le Pautre invente le « grand carrosse moderne », avec deux évolutions décisives : une caisse entièrement fermée et vitrée, et un train muni d’une flèche comportant à l’avant des arcs en fer, dits en col de cygne, sous lesquels les roues avant peuvent s’engager pour tourner à angle droit. Au XVIIe siècle, l’angle de braquage des voitures augmente ainsi de 30 à 90 degrés, constituant le progrès le plus important dans l’histoire de la carrosserie.

« Une voiture est à la fois une machine et un objet d’art ; il faut à l’architecte qui en dirige l’exécution les connaissances d’un mécanicien et l’étoffe d’un artiste. »

Peu après cette première invention, les modèles de voitures se diversifient : carrosses coupés, berlines plus sûres et confortables, élégantes calèches, soufflets rapides, landau de cérémonie, chaise de poste… Et bientôt, les berlines proposent de nouvelles « options », des accessoires améliorant le confort des passagers. Ce sont les nouveaux marchepieds à tiroir facilitant l’accès aux sièges, les glaces réglables grâce à un système de boutonnière, les jalousies de bois et stores de soie pour se protéger du soleil, les caves, sortes de petits coffres accessibles à tout instant par une trappe ouverte dans le plancher, renfermant nourriture et boissons pour le voyage, les nombreux vides poches dissimulés dans la précieuse garniture des portières, les brassières de tissu permettant de soutenir les bras des voyageurs, et même, luxe suprême, l’éclairage intérieur de l’habitacle grâce à une petite lanterne appliquée juste derrière la glace arrière… Comme pour le mobilier, carrosses et berlines s’adaptent au goût du jour : caisses ornées à profusion d’ors et de sculptures sous le règne de Louis XIV, fantaisie des courbes et contre-courbes de la rocaille sous Louis XV, légèreté et lignes droites sous Louis XVI, simplicité et pureté des volumes au XIXe siècle. Le menuisier et ébéniste André-Jacob Roubo affirmait ainsi : « Une voiture qui plaît et qui est à la mode dans un tempo[s], n’est plus supportable l’année suivante, et cela parce que la mode a changé. »

La collection de Versailles ne comprend pas de véhicules de voyage, uniquement des œuvres de grand apparat. Le « carrosse du Corps », à l’usage exclusif du souverain, est une sorte de trône ambulant destiné à montrer le roi ou l’empereur. Comme les « carrosses de suite », il roulait au pas – environ 3 km/h – lors des grandes cérémonies dynastiques : baptêmes, mariages, sacres, réceptions d’ambassadeurs, funérailles. Il faut s’imaginer la beauté de ces grandes cavalcades au milieu de la foule assemblée, ces cortèges réunissant plusieurs dizaines de voitures, parfois même des centaines, ces carrosses aux dimensions impressionnantes captivant tous les regards, la magnificence des chevaux empanachés qui donnent vie et mouvement aux voitures et le grondement des sabots sur les pavés. Enfin, la charge symbolique du carrosse, hier comme aujourd’hui, est essentielle : il reste le symbole par excellence du pouvoir royal, une véritable personnification du monarque. C’est ce qu’illustre avec éclat la destinée funeste de certains carrosses de la Cour lors de la Révolution française, tel celui de Louis XVI, « dépecé » sur ordre de la Convention nationale en 1794.

Hélène Delalex, 
attachée de conservation en charge de la galerie des Carrosses

Vue générale du château et des jardins de Marly, vers 1724, Pierre-Denis Martin (1663-1742) (détail) © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Hervé Lewandowski


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