la République dans les meubles du roi

Pour célébrer la remise en état de l’aile de Trianon-sous-Bois, une exposition est présentée du 18 juin au 9 novembre 2016. Elle est consacrée à l’usage diplomatique que Charles de Gaulle fit du palais du Grand Trianon il y a cinquante ans, permet la possibilité au public de découvrir ces espaces, ainsi qu’une page méconnue de l’histoire de France.

Bureau du Général de Gaulle au Grand Trianon

« Le chef d’État est mal logé à l’Élysée, qui est trop petit et est placé au milieu des automobiles. Il n’est pas impossible d’envisager que le chef de l’État vienne un jour habiter à Trianon ». Lorsque le général de Gaulle visite le château de Versailles, le 3 août 1961, c’est vers Trianon qu’il porte son attention. L’ancienne demeure de plaisance des rois de France est alors un lieu exclusivement dédié à la visite. Seule la signature du traité de Trianon, le 4 juin 1920 dans la galerie des Cotelle, qui scelle la paix entre les alliés et la Hongrie, lui confère un rôle politique officiel.

Dans l’esprit de beaucoup, le Grand et le Petit Trianon sont les petits châteaux charmants du fond du parc, appréciés par le public, en particulier étranger, en ce qu’ils constituent un but de promenade. L’un des visiteurs les plus prestigieux de l’Entre-deux-guerres est le richissime John D. Rockefeller. Le 4 juillet 1923, quelques jours après un gala de charité destiné à récolter des fonds pour la restauration du château, le milliardaire américain visite tout le domaine, accompagné par le président de la Société des amis de Versailles. Moins d’un an plus tard, il fait un premier don d’un million de dollars, dont l’utilisation est décidée par un comité franco-américain. À la demande expresse du mécène, Trianon fait l’objet d’importants travaux, en particulier la réfection des menuiseries et fermetures extérieures ; une seconde donation, en 1927, permet de restaurer les toitures du Grand Trianon et l’aile de Trianon-sous-Bois. Menée par l’architecte Patrice Bonnet, la restauration permet en outre de mener des recherches archéologiques sur le parterre, pour retrouver la trace du Trianon de porcelaine, qui précéda entre 1670 et 1687 l’actuel édifice. D’autres opérations, conduites à l’initiative du gouvernement, avaient déjà permis en 1914 d’enlever la verrière qui fermait le péristyle depuis le Premier Empire. Le parc est clos en 1928.

Il faut attendre les années cinquante pour qu’un regain d’intérêt officiel se porte sur le Grand Trianon. Si les visiteurs ont, dans l’Entre-deux-guerres, continué à le visiter, c’est l’avènement du général de Gaulle qui lui permet de retrouver un rôle de premier plan dans le Domaine et dans la vie politique française. Contrairement au Petit Trianon et au hameau de la Reine, le Grand Trianon ne fait pas l’objet d’importantes interventions dans les années 1950, lors de la Sauvegarde du château de Versailles à laquelle les fils Rockefeller contribuent amplement. En revanche, dès le 4 août 1959, on demande à l’architecte Marc Saltet d’établir un projet, destiné à aménager le palais pour y accueillir des chefs d’État étrangers. Le plan initial doit permettre de loger les hôtes de la République dans l’aile Sud et d’organiser des réceptions dans l’aile Nord : l’aile de Trianon-sous-bois n’est initialement pas concernée. Les travaux à mener sont colossaux : il faut remplacer ou réparer les parquets, restaurer les boiseries et les fenêtres, refaire les peintures, adapter l’installation électrique et le chauffage, aménager des salles de bains et sanitaires, ainsi que des cuisines, refaire les jardins.

Richard Nixon et Charles de Gaulle au Grand Trianon, le 1er mars 1969

Le premier devis reste sans suite, jusqu’à la visite du général de Gaulle à l’été 1961. Le Président de la République effectue ce jour-là une tournée des châteaux autour de Paris, pour trouver des lieux susceptibles d’accueillir les sommets internationaux et les visites officielles. Si l’hypothèse d’un déménagement de la Présidence de la République est rapidement écartée – malgré l’idée d’acheter l’hôtel Trianon Palace, alors en vente, qui aurait pu abriter les services administratifs – le projet est désormais divisé en trois : l’appartement de l’hôte étranger, que Saltet prévoit toujours dans l’aile Sud, les salons de réception, envisagés dans l’aile Nord et l’aile de Trianon-sous-Bois, ainsi qu’un appartement dévolu au Président de la République, initialement envisagé dans les petits appartements de l’Empereur, entre la cour d’Honneur et le jardin du Roi. Les travaux sont lancés, pour un montant de vingt millions de francs, incluant la décoration ; ils bénéficient largement de la première loi-programme lancée par Malraux le 31 juillet 1962, qui conforte largement l’ancienne demeure royale dans son rôle de représentation du pouvoir et des arts en lui affectant 80 millions de francs. Les travaux commencent dès 1961, même si l’aménagement d’un appartement pour le président n’est acté qu’en août 1963, à la suite d’une nouvelle visite du général de Gaulle, reçu chez les Malraux, alors logés au pavillon de la Lanterne, de l’autre côté du Grand Canal ; plutôt que les petits appartements de l’Empereur, c’est Trianon-sous-bois que le chef de l’État choisit pour accueillir son logement. Saltet y aménage au rez-de-chaussée un vestibule, deux salons, une salle à manger, trois bureaux, tous desservis par une galerie, et à l’étage les chambres, salles de bains et commodités. L’ensemble est meublé avec le concours du Mobilier national, tandis que le reste du Grand Trianon profite des opérations de remeublement menées par Gérald Van der Kemp, le conservateur du musée.

« Voilà quelles sont les richesses de la France quand elles sont remises en valeur par un Malraux ! »

Les travaux prennent fin au printemps 1966 ; lors de l’inauguration, de Gaulle s’exclame : « Voilà quelles sont les richesses de la France quand elles sont remises en valeur par un Malraux ! ». Pourtant, pas plus que ses successeurs, il n’utilisera ce logement ; seul Valéry Giscard d’Estaing y passera quelques séjours en famille. L’aile de Trianon-sous-Bois est remise à la disposition du musée en 1999 par Jacques Chirac, et la Présidence s’en sépare formellement en 2008.

L’avènement de Georges Pompidou en 1969 officialise l’utilisation du Grand Trianon pour les réceptions officielles et l’accueil des hôtes étrangers, selon une disposition qui varie : l’emplacement de la chambre peut ainsi évoluer, en fonction des désirs des personnes accueillies. Seul le roi d’Arabie saoudite s’installe dans la chambre dite de Victoria, les autres se contentant de pièces plus sobres dans l’aile en retour. Leonid Brejnev en 1971, la reine Elisabeth II en 1972, le roi Hassan II du Maroc en 1976, tous sont les hôtes de la République, avec leur délégation, pendant quelques jours. Les chefs d’État non logés à Trianon y sont généralement accueillis pour une soirée de gala, les cuisines du sous-sol rendant l’organisation de dîners plus aisée qu’à la galerie des Glaces, qui reste réservée aux dîners d’État, encore plus fastueux. Les réceptions dans la galerie des Cotelle et les salons qui la précèdent réunissent environ 150 personnes, personnalités du monde politique diplomatique et culturel.

Le Président français inaugure le sommet des sept puissances industrialisées à Versailles, le 4 juin 1982, sous le péristyle du Grand Trianon, en présence de leurs hauts responsables politiques : Zenko Suzuki (Japon), Margaret Thatcher (Royaume Uni), Ronald Reagan (USA), Helmut Schmidt (RFA), Giovanni Spadolini (Italie), Pierre Elliott Trudeau (Canada).

En 1982, l’organisation du sommet du G7, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des sept pays occidentaux les plus puissants, marque l’apogée du Grand Trianon dans son rôle diplomatique républicain. Du 4 au 7 juin 1982, il héberge le président américain Ronald Reagan, le Premier ministre britannique Margaret Thatcher et leurs homologues japonais, canadien, italien et allemand, accueillis par François Mitterrand. Si les séances de travail se déroulent au Château, les chefs de délégation sont logés à Trianon, où ils dînent le vendredi et le samedi dans le salon des jardins ; le dîner de gala a lieu le dimanche dans la galerie des Glaces.

Les contraintes logistiques, qui obligent notamment à fermer le Palais à la visite durant ces séjours, voire à interrompre la circulation entre Paris et Versailles lors des déplacements des hôtes, conduisent peu à peu les pouvoirs publics à ne plus l’utiliser pour les réceptions et manifestations officielles. Seul Boris Eltsine a droit, en février 1992, aux honneurs de Versailles. Les portes de Trianon s’entrouvrent néanmoins, une nouvelle fois en 2014, lorsque le président de la République François Hollande y accueille son homologue chinois Xi Jiping, pour un dîner privé. Depuis une trentaine d’années, Trianon est redevenu un musée à part entière, à la dispo­sition du public.

Fabien Oppermann, 
conservateur en chef au ministère de l'Éducation nationale


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