Les voussures
du ciel d'Apollon

En janvier 2015, sera achevée la restauration de l’ensemble du décor du salon d’Apollon et de ses stucs. C'est l'occasion d'admirer de plus près ces peintures alors que s'annonce une exposition sur Charles de La Fosse (1636-1716), maître de la couleur.

Restauration du plafond du salon d'Apollon. © EPV / Didier Saulnier

 S’inspirant du programme iconographique de l’appartement des Planètes du palais Pitti à Florence, Charles Le Brun a placé les sept salons du Grand Appartement du Roi sous le signe des sept planètes connues à l’époque. Au sein même du salon solaire d’Apollon, tout se passe comme si le décor reprenait cette configuration planétaire. Autour du cercle central du plafond où rayonne l’Apollon royal, les quatre voussures, comme quatre planètes, célèbrent à travers le filtre et la caution de l’histoire antique, les qualités du monarque. Quatre extraordinaires scènes, dont on peut éclairer la dramaturgie à la lumière des textes antiques qui alimentaient la culture des artistes et des élites de l’époque.

Voussure est du plafond d'Apollon : Coriolan levant le siège de Rome à la demande de sa mère, par Gabriel Blanchard (1630-1704), vers 1672, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Gérard Blot

Coriolan [Marcius] supplié d’épargner Rome,
par Gabriel Blanchard

La scène représente le général romain appelé Gnaeus Marcius qui, après avoir été condamné à l’exil, s’est mis en guerre contre sa première patrie. Au terme de plusieurs victoires militaires, il arrive à Rome et semble décider à faire tomber la ville. Comme le raconte Plutarque, les supplications de sa mère le font renoncer à ses projets de vengeance. Celle-ci lui dit en effet : « Céder totalement à la colère et au ressentiment, est-ce beau, et ne l’est-il pas de faire plaisir à ta mère qui t’implore, s’agissant de si grands enjeux ? » À ces mots, elle se jette à ses genoux, en même temps que la femme et les enfants de Marcius. « Que fais-tu, mère ? » s’écrie-t-il en la relevant et en lui pressant fortement la main : « Tu as gagné, dit-il, pour la patrie, c’est une victoire heureuse ; pour moi, elle est désastreuse : je me retire, vaincu par toi seule ». Un épisode qui marque le triomphe d’un chef affirmant son pouvoir non par l’autorité mais par la vertu. Et dans l’œuvre de Blanchard, un hommage transparent à la mansuétude du maître de Versailles, monarque et chef de guerre.

Voussure sud du plafond d'Apollon : Vespasien faisant élever le Colisée à Rome, par Gabriel Blanchard (1630-1704), musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Gérard Blot

Vespasien fait bâtir le Colisée,
par Gabriel Blanchard

Quelle symbolique donner à cette scène ? Elle célèbre l’œuvre de bâtisseur de Louis XIV, sans toutefois qu’on puisse la rattacher à une réalisation précise du règne (le palais des Tuileries ?). Dans sa biographie de Vespasien, l’historien romain Aurélius Victor rapporte que face à la pénurie du trésor et à la ruines des villes, l’Empereur lève de nouveaux impôts pour rebâtir de nombreux bâtiments à Rome dont le Colisée, qu’on voit figurer ici en arrière-plan. Versailles nouvelle Rome, ce fut en effet le rêve du monarque et de ses artistes.

Voussure ouest du plafond d'Apollon : Auguste faisant bâtir le port de Misène, par Charles de La Fosse (1636-1716), musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Gérard Blot

Auguste fait bâtir le port de Misène,
par Charles de La Fosse

Misène… port d’attache de la principale flotte romaine en Italie. L’allusion devait être ici assez transparente pour les contemporains de l’œuvre. Cette construction du port de Misène figurée par La Fosse est en effet la transposition antique de celle du port et de l’arsenal de Rochefort, décidée en 1666 par le Roi. Écoutons parler le ministre Colbert : « Le Roi pris la résolution de faire en ce lieu-là un établissement considérable ; il acheta la terre de Rochefort, et y fit tracer le plan d’une grande ville […]. Sa majesté voulut qu’il y eût une fonderie pour les canons, des forges, des manufactures pour les voiles et pour les cordages. » Cet hommage à la puissance maritime de Louis XIV, vient en écho de la voussure voisine qui avec Vespasien et le Colisée met en exergue un monarque régnant sur la terre ferme.

Voussure nord du plafond d'Apollon : Porus conduit devant Alexandre, par Charles de La Fosse (1636-1716), musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Gérard Blot

Alexandre et Porus,
par Gabriel Blanchard

L’historien romain Flavius Arianus rapporte cette scène grandiose entre Alexandre, roi de Macédoine et le monarque indien Porus, (Porôs) qu’il vient de vaincre lors de la bataille de l’Hydapse en -326. « Alexandre lui demanda [à Porus vaincu] le premier ce qu’il désirait de lui et il répondit qu’il le traitât en roi. Je ferai cela pour l’amour de moi, dit Alexandre. Mais que veux-tu que je fasse pour l’amour de toi ? L’autre repartit qu’il n’avait rien à ajouter, et que ce qu’il avait dit comprenait tout. Alexandre, touché d’une réponse si magnanime, lui laissa son État, augmenté encore de quelques provinces, et l’autre lui demeura fidèle jusqu’à la mort. » Le geste de clémence d’Alexandre évoque ici la restitution de la Franche-Comté à l’Espagne, après sa première conquête, en 1667, lors de la guerre de Dévolution. En complément idéal de la voussure qui montre Coriolan épargnant Rome, cette œuvre de Blanchard laisse transparaître le portrait moral d’un Louis XIV, guerrier redoutable, mais vainqueur bienveillant.

La rédaction des Carnets de Versailles

Cet article est tiré des Carnets de Versailles n°6 (octobre 2014-mars 2015).


L’exposition « Charles de La Fosse » à Versailles

Cette première exposition monographique rendra hommage à l’un des créateurs majeurs du décor du château de Versailles qui œuvra aux salons de Diane et d’Apollon, au Grand Trianon et à la Chapelle royale. Elle sera l’occasion de mettre en valeur ses grandes compositions, en particulier le salon d’Apollon. Elle présentera une quarantaine de peintures et autant de dessins provenant de collections françaises et étrangères, publiques et privées.

Du 23 février au 24 mai 2015

Appartement de Madame de Maintenon


À VOIR :

visite libre
Plafond du salon d’Apollon, circuit des Grands Appartements,
1er étage du Château à partir de janvier 2015.


À LIRE :

Nicolas Milovanovic,
Les Grands Appartements de Versailles sous Louis XIV. Catalogue des décors peints, édition de la RMN, 2005.

MOTS-CLÉS