Les couleurs
de la beauté

En janvier 2015, sera achevée la restauration de l’ensemble du décor du salon d’Apollon et de ses stucs, chef-d’œuvre de Charles de La Fosse (1636-1716). Une façon d’éclairer le talent de ce maître de la couleur auquel Versailles, en 2015, consacre une exposition
pour la première fois en France.

Partie centrale du plafond du salon d'Apollon : Apollon sur son char tiré par quatre chevaux et accompagné des Saisons, par Charles de La Fosse, 1673_1678. © EPV / Gérard Blot

Charles de La Fosse a mis tout son talent de coloriste dans l’Apollon qui illumine le centre du plafond du salon éponyme de Versailles. Le dieu solaire apparaît sous les traits d’un jeune homme au visage poupin, aux boucles d’or et aux pommettes hautes rougies par l’effort ou l’air vivifiant du ciel. Il trône sur un char porté par des chevaux, émergeant d’un bouquet de nuages dont la base dense, sombre et épaisse, s’éclaircit au fur et à mesure qu’elle s’élève, évoquant le panache d’un cumulonimbus. La représentation de la divinité a beau être en conformité avec un certain idéal de la beauté antique, dont Stendhal put à l’occasion se moquer – « les peintres ayant appris qu’Apollon était beau, copient toujours l’Apollon dans des figures jeunes » –, elle offre au dieu une sensualité inédite. Une fraîcheur tranche ici avec cette peinture classique que l’auteur d’une Histoire des peintres d’Italie jugeait sans âme, « un concert de louanges, un pur et simple mécanisme, comme chez les ouvriers égyptiens ».

La Fosse a ce sens du coloris qui demande un peu de sentiment. Sa composition s’écarte discrètement de la science exacte du dessin défendue par Charles Le Brun, le grand ordonnateur des décors versaillais. Certes, l’influence et le style du maître se ressentent dans quelques figures du décor, en particulier la Magnanimité, en bas de la composition : elle reprend les traits de l’allégorie de l’Innocence que Le Brun a peinte dans la voûte du salon de la Paix, avec la même position du bras, le dos de la main posé contre le visage. Il y a aussi la composition imposée par l’allégorie royale : pour Nicolas Milovanovic, conservateur au musée du Louvre, il faut surtout voir ici l’image de la France qui se repose « grâce “aux soins du soleil” dans sa course, c’est-à-dire du roi dans l’exercice du gouvernement ».

Détail du plafond peint montrant les quatre saisons personnifiées. © EPV / Gérard Blot

Une jeune femme en mouvement, portant un panier de fleurs, incarne le printemps, tandis qu’un vieillard prostré, dont le regard vide semble nous fixer, symbolise l’hiver. L’été, jeune déesse à la carnation nacrée et aux épaules dénudées nous tourne le dos, une faucille à la main. Aux pieds du printemps se trouve l’automne représentée de manière peu habituelle par deux personnages, l’un servant du vin à l’autre. Les deux figures en bas du tableau aux postures nobles et dominantes, sont la Magnificence, qui tient dans ses mains un plan d’architecture et la Magnanimité revêtue d’une robe bleue à fleurs de lys.

Le Lever du soleil, par Charles de La Fosse, vers 1672, Musée de la Ville de Rouen. © C. Lancien, C. Loisel

Malgré l’inflexibilité de ce programme, on retrouve ici également beaucoup de la composition du Lever du soleil, une composition circulaire réalisée par l’artiste vers 1672. Dans ce beau modello, les rondeurs des visages sont caractéristiques d’une sensibilité picturale nouvelle et le sens du détail est spectaculaire ; la bave, par exemple, sortant de la bouche d’un des chevaux. Le peintre travaillait son modèle sous des couches sombres, ce qui explique l’effet de volume des personnages, les cernes suaves et les effets d’ombre et de lumière subtils autour des silhouettes. Les historiens évoquent une parenté avec la rondeur du maître flamand Rubens qui, comme La Fosse, aimait crayonner « aux trois couleurs », une technique qui insiste sur les courbes en rehaussant le dessin à la sanguine. Pour Béatrice Sarrazin, conservatrice en charge de la restauration et l’une des commissaires de la prochaine exposition consacrée au peintre, cette singularité fait que ses compositions, qu’elles appartiennent au grand décor ou au registre plus intime du tableau de chevalet, qu’elles soient mythologiques ou religieuses, révèlent un goût pour le coloris dans le choix d’alliances colorées osées et dans le frémissement de la touche. C’est par ses formes gourmandes qui transforment des symboles mythologiques en figures incarnées, que La Fosse fut ainsi l’un des grands précurseurs du XVIIIe siècle, en particulier de Watteau, son ami et son élève. Il ouvre une nouvelle voie vers une peinture plus charnelle qui fera les délices du siècle des Lumières.

Victor Guégan,
rédacteur en chef des Carnets de Versailles.

Cet article est tiré des Carnets de Versailles n°6 (octobre 2014-mars 2015).


L’exposition « Charles de La Fosse » à Versailles

Cette première exposition monographique rendra hommage à l’un des créateurs majeurs du décor du château de Versailles qui œuvra aux salons de Diane et d’Apollon, au Grand Trianon et à la Chapelle royale. Elle sera l’occasion de mettre en valeur ses grandes compositions, en particulier le salon d’Apollon. Elle présentera une quarantaine de peintures et autant de dessins provenant de collections françaises et étrangères, publiques et privées.

Du 23 février au 24 mai 2015

Appartement de Madame de Maintenon


À VOIR :

visite libre
Plafond du salon d’Apollon, circuit des Grands Appartements,
1er étage du Château à partir de janvier 2015.


À LIRE :

Nicolas Milovanovic,
Les Grands Appartements de Versailles sous Louis XIV. Catalogue des décors peints, édition de la RMN, 2005.

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