Une Elena oubliée

Après sa recréation cet été au Festival d’Aix-en-Provence, l’Elena de Francesco Cavalli, un chef-d’œuvre jamais rejoué depuis 350 ans, arrive à Versailles. À l’occasion de cet événement, Barbara Nestola, chercheuse au Centre de musique baroque de Versailles, nous parle du contexte historique de l’œuvre.

Représentation d’Elena de Cavalli au Festival d’Aix-en-Provence, 2013. © Château de Versailles Spectacles / © Pascal Victor / ArtcomArt

Quels furent les rapports de Cavalli et de la cour de France ?
Barbara Nestola : Le cardinal Mazarin, qui souhaite introduire l’opéra italien en France, commande à Cavalli un opéra, Ercole Armante, pour les fêtes du mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse infante d’Espagne qui a lieu en 1660 après la signature du traité de paix des Pyrénées. L’œuvre doit être représentée à Paris dans la salle du théâtre des Machines construite spécialement près des Tuileries. Avec 7 000 places, c’est le lieu de spectacle le plus vaste d’Europe après Parme. Mais à cause de la mort du cardinal et de retards dans le chantier, l’œuvre n’est donnée qu’en février 1662. Cavalli lui-même dirige la représentation qui reçoit un accueil mitigé. Le public français est désarçonné par la complexité de l’opéra italien qu’il ne connaît pas et qui le surprend par l’abondance de ses intrigues parallèles. Les paroles en italien ne facilitent pas la compréhension de l’œuvre par des spectateurs français, malgré la version bilingue du livret qui leur est fournie. Par ailleurs, l’acoustique de la salle est catastrophique et le spectacle, trop long. « Enrichi » de ballets à la française, dans le but de flatter le goût de la Cour pour la danse, il finit par désorienter les spectateurs.

Représentation d’Elena de Cavalli au Festival d’Aix-en-Provence, 2013. © Château de Versailles Spectacles / © Pascal Victor-ArtcomArt

Quelles sont les caractéristiques principales de la production italienne d’opéras de l’époque ?
B. N. Cavalli est l’un des meilleurs représentants du florissant « marché » du théâtre vénitien des années 1640-1660, un théâtre commercial, qui reflète l’évolution de la société vénitienne de l’époque. Au tournant des années 1660, la République de Venise perd son statut de puissance politique mais voit se développer ses forces économique et financière. Les compositeurs et leurs librettistes proposent donc des œuvres conçues pour plaire au public, avec des intrigues multiples, des scènes comiques, des scènes de déguisement… Les valets se moquent des maîtres. Et l’action se termine toujours de façon heureuse. Il peut aussi y avoir de subtiles allusions à la situation politique. La musique est vive, chatoyante, colorée. Le chant, omniprésent, fait corps avec l’action. Pas de recherche de complexité dans les airs, mais une interprétation qui demande néanmoins des qualités virtuoses. Dans un but de rentabilité, l’orchestre est réduit au maximum. De nombreuses œuvres sont données avec un effectif d’une dizaine de musiciens seulement. Dans ses opéras, Cavalli a vraiment trouvé une « formule gagnante » qu’il conservera telle quelle tout au long de sa carrière.

Quelle place particulière tient Cavalli dans l’histoire de la musique ?
B. N. Francesco Cavalli est le digne successeur de Monteverdi. Lorsque celui-ci meurt en 1643, Cavalli possède déjà six opéras à son actif. Il précède la génération de la fin du XVIIe siècle qui fait évoluer l’opéra vénitien avant l’arrivée décisive de Vivaldi au début du XVIIIe siècle.

Que pouvez-vous nous dire de l’Elena de Cavalli ?
B. N. C’est une œuvre qui est tombée dans l’oubli depuis le XVIIe siècle. Je ne l’ai jamais entendue dans son intégralité ! La recréation du Festival d’Aix-en-Provence, 350 ans après est donc un événement à la fois musicologique et artistique.

Propos recueillis par François Appas

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°4 (octobre 2013-mars 2014)


L’histoire d’Elena de Sparte

Hélène, fille de Leda et de Tyndare le roi de Sparte, est considérée comme la plus belle femme du monde. Privilégiant les jeux de stade à ceux de l’amour, le roi Ménélas, amoureux de la belle Hélène, se déguise en Amazone pour l’approcher sans qu’elle se méfie. Il devient son entraîneur… Mais ses rivaux n’ont pas déposé les armes : le roi Thésée enlève Hélène et sa « lutteuse ». Se réfugiant à Tégée, sous la protection du roi Créon et de son fils, le prince Ménestée, il ne se doute pas que ce dernier se consumera lui aussi de désir pour la princesse de Sparte.


À VOIR

Elena de Cavalli
vendredi 6 décembre 2013, 20 h
dimanche 8 décembre 2013, 16 h, à l’opéra Royal.

Distribution :
Emöke Barath, Elena, Venere / Kangmin Justin Kim, Menelao / Fernando Guimaraes, Teseo / Rodrigo Ferreira, Peritoo / Zachary Wilder, Iro / Anna Reinhold, Menesteo, La Pace / Majdouline Zerari, Eurite, La Verita / Brendan Tuohy, Diomede, Creonte / Christopher Lowrey, Euripilo, La Discordia, Polluce / Job Tomé, Antiloco

Mise en scène : Jean-Yves Ruf
Décors : Laure Pichat
Costumes : Claudia Jenatsch
Lumières : Christian Dubet

Solistes de l’Académie Européenne du Festival d’Aix-en-Provence Cappella Mediterranea direction Leonardo  García Alarcón

Nouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence et de l’Académie européenne de musique. En coproduction avec Marseille Provence 2013, Capitale européenne de la culture

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