Tenues de soieries

Versailles et la Manufacture de soieries lyonnaise Tassinari & Chatel, créée en 1680, coopèrent depuis le XVIIIe siècle. L’année dernière, leur collaboration a permis de compléter le décor mural et mobilier des appartements de Mesdames, pour retrouver l’esprit qui y régnait sous Louis XV et Louis XVI.

Les tissus des meubles et des tentures du XVIIIe siècle n’ont que très rarement survécu au passage des siècles. Aucune soierie ancienne provenant des appartements de Mesdames n’est conservée dans les collections de Versailles, le château ayant été vidé de son mobilier à la Révolution. À défaut de ces modèles textiles d’origine, connus uniquement par les descriptions d’archives, la restitution du décor textile de ces appartements se veut une évocation à partir de l’interprétation de ces documents du XVIIIe siècle. Brochés, lampas, chinés, gros de Tours, taffetas (lire lexique à la suite) ont été retissés afin que le visiteur puisse saisir ce que fut l’ambiance si raffinée de ces pièces, parmi les plus vastes du Château, sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, et que les deux filles du roi, Mesdames Adélaïde et Victoire, ont marqué de leur goût.

Tenture de la chambre de Madame Adélaïde. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

La tenture de la chambre de Madame Adélaïde est exemplaire de cette démarche, fruit de recherches patientes. On sait qu’un broché à dessin de « fleurs de renoncules, roses et jacinthes bleues et guirlandes de diverses fleurs sur fond blanc » avait été livré en 1770 par le tapissier Capin. En 1978, lors de la restitution de ces appartements, qui avaient été détruits au XIXe siècle, la tenture de l’alcôve fut tendue d’une soierie à motif de bouquets de fleurs et de rubans reproduisant, suivant la technique du chiné à la branche, un broché commandé en 1788 pour le grand-duc Paul de Russie.

Or, les documents issus des archives du XVIIIe siècle n’évoquent pas un chiné mais un broché… C’est pourquoi il a été décidé de retisser le modèle de 1788, mais suivant la technique du broché et non du chiné. C’est cette réinterprétation que l’on peut voir dans la chambre restaurée de Madame Adélaïde.

Détail dans le Grand Cabinet de Madame Adélaïde. © Château de Versailles / Thomas Garnier.

Dans le Grand Cabinet de cette princesse, des rideaux en gros de Tours ont été confectionnés. Il ne s’agissait pas là d’évoquer ceux qu’avait connus Madame Adélaïde, mais de les accorder au mobilier désormais présenté dans la pièce : l’ensemble des sièges conçus par Georges Jacob, qui proviennent du salon des Jeux de Louis XVI au château de Saint-Cloud. Ce mobilier avait été, il y a une trentaine d’années, recouvert d’un nouveau tissage, sur métier à bras, du lampas à « fleurs de rose » d’origine. Conformément à l’inventaire de Saint-Cloud, les rideaux ont donc été restitués en gros de Tours uni en accord avec le mobilier. Le ton bleu a été choisi à partir de mouchets, brins de soie préteints de différentes nuances confrontées au bleu légèrement passé du fond du lampas des sièges.

Les pièces occupées par Madame Victoire ont aussi profité de cette opération de retissage. Dans la chambre, notamment, il avait été choisi, à défaut du modèle d’origine, d’y placer un taffetas créé en 1776 pour Catherine II de Russie, très proche dans ses motifs et parfaite évocation de ce qu’avait souhaité Madame Victoire, un taffetas chiné à motifs de « corbeilles et d’oiseaux ». Dans le cadre de la restauration actuelle menée par Bertrand Rondot, conservateur chargé du remeublement de ces appartements, un supplément de ce taffetas chiné a été commandé pour couvrir les meubles nouvellement placés dans la pièce, tels que le baldaquin du lit, l’écran de cheminée et le paravent à six feuilles reconstitué.

Victor Guégan,
membre de la rédaction des Carnets de Versailles.

Appartements de Mesdames : chambre de Madame Victoire. © EPV / Christian Milet

Cet article est tiré des Carnets de Versailles n°4 (octobre 2013-mars 2014)


Les soieries à la loupe : le lexique du tapissier

Portrait de Jérôme Lebouc, tapissier restaurateur au château de Versailles. © EPV / Christian Milet

Comme chaque métier d’art, le monde des soieries possède un langage précis permettant de distinguer les différentes techniques employées. Jérôme Lebouc, tapissier restaurateur au château de Versailles, nous a aidés à retenir l’indispensable du vocabulaire spécifique à ce domaine. Grâce à un microscope, une série de photos nous plonge dans les arcanes de la soie et révèle la vraie nature des tissages.

Armure
Par analogie avec l’aspect de l’armure du chevalier qui entrelace des fils de métal (cotte de maille), l’armure résulte des fils entrecroisés lors du tissage comme suit : les fils de chaîne, tissés dans la longueur, le sens d’avancement du tissu lors de sa fabrication et les fils de trame qui leur sont perpendiculaires. Les différentes solutions pour les associer, alternativement au-dessus et en dessous, donnent naissance à différents types d’armures. Ces variations sont possibles grâce à des « flottés » de chaîne ou de trame. On parle de « flotté » lorsqu’un fil, vertical ou horizontal, passe par-dessus deux autres fils ou plus : s’il s’agit d’un fil de trame, il enjambe des fils de chaîne, s’il s’agit d’un fil de chaîne, il enjambe des fils de trame. Ce jeu de tissage permet d’introduire des motifs.

© EPV / Christian Milet

Brocatelle
Lire Lampas.

Broché
Étoffe façonnée grâce à des motifs ajoutés au tissu par des trames de tissage supplémentaires que l’on décèle sur l’envers du tissu.

Cannelé
Armure dans laquelle des flottés de chaîne produisent des côtes parallèles au fil de trame. Elle est repérable dans le gros de Tours composant les rideaux du Grand Cabinet de Madame Adélaïde. Le gros de Tours est en effet le nom habituel du cannelé de deux coups de trame (deux fils sont enjambés lors d’un flotté).

© EPV / Christian Milet

Chaînes
Lire Armures.

Chiné
Fil (chaîne ou trame) de différents coloris obtenus par teinture ou impression. À l’origine, le chiné à la branche était au XVIIIe siècle un tissu de soie décoré de dessins multicolores préparés sur des groupes de fils, branches (d’où le nom de « chiné à la branche »), par des teintures successives.

Damas
Tissu façonné qui présente un effet brillant (dessin) et un effet mat (fond).

© EPV / Christian Milet

Lampas
Tissu dont le décor est constitué par des « flottés » de trame. Par exemple, la brocatelle reproduite est un tissu de la famille des lampas. Elle se caractérise par des effets de « satin », au-dessus du fond. Cela signifie que les flottés s’allongent le plus possible et donnent ainsi un effet de brillance singulier, en relief. À tel point que le mot « satin » est entré dans notre langue courante pour désigner un objet à l’aspect doux et soyeux.

Taffetas
Armure tissée comme suit : un fil pris, un fil laissé.

Trame
Lire Armures.


À LIRE : 

« Un lampas des Indes remis en place », par Élisabeth Caude
« Intérieur d'impératrice pour la Maison de la Reine », par Jérémie Benoît


À VOIR : 

MOTS-CLÉS