magazine du château de versailles

Le roi avait-il peur
de l’eau ?

À chaque numéro, le magazine trimestriel Château de Versailles. De l’Ancien Régime à nos jours vous offre un extrait d’un article d’un spécialiste sur un aspect méconnu du domaine. Ce semestre, retour sur la question sensible de l’hygiène à l’époque de Louis XIV.

Femme de qualité en déshabillé pour le bain, assise sur son lit de repos, gravé par I. L de Saint-Jean. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / photographe inconnu

[…] Une légende persistante – que l’on retrouve encore dans certains manuels scolaires – raconte que Louis XIV ne prit qu’un seul bain au cours de sa vie. S’il n’était effectivement pas un habitué des baignoires, ce n’était pas pour des questions de manque d’hygiène mais bien plus à cause des propriétés qu’on attribuait à l’eau. Les contemporains se méfiaient du contact du corps avec ce liquide : on pensait alors que l’eau s’infiltrait dans les organes pour les corrompre. Comme le rappelle Théophraste Renaudot en 1655 – « Le bain hors l’usage de la médecine1 en une pressante nécessité est non seulement superflu mais très dommageable aux hommes […]. Le bain extermine le corps et, le remplissant, le rend susceptible de l’impression des mauvaises qualités de l’air […]. Le bain emplit la tête des vapeurs ».

Le Matin : Dame de qualité à sa toilette, par Jean Mariette, vers 1685. © Château de Versailles.

Comment s’effectuait alors la toilette, sachant qu’à la Cour, selon le Traité de civilité françoise d’Antoine de Courtin (publié pour la première fois en 1671), « la propreté fait une grande partie de la bienséance, & sert autant que toute autre chose, à faire connaître la vertu & l’esprit d’une personne : car il est impossible, que voyant sur elle des habits ridicules, on ne conçoive incontinent l’opinion, qu’elle est ridicule elle-même. » Pour répondre aux exigences de la civilité, la propreté se comprenait aussi et surtout par la « netteté » qui supposait de porter en permanence du linge blanc mais aussi, rappelle Courtin, « avoir soin de se tenir la tête nette, les yeux & les dents, dont la négligence gâte la bouche & infecte ceux à qui nous parlons ; les mains aussi, & mêmes les pieds, particulièrement l’été, pour ne pas faire mal au cœur à ceux avec qui nous conversons, ayant soin de se couper les ongles. Il faut aussi se tenir les cheveux longs ou courts ; la barbe d’une telle, ou telle manière, selon la mode ordinaire, tempérant le tout à l’âge, à la condition, &c. »

La propreté, on le voit, tenait d’abord à une bonne adéquation des habits à sa condition sociale et consistait aussi à faire en sorte que les parties visibles du corps (visage, mains et linge de corps) soient bien nets. Le linge blanc était gage de propreté. Dans cette optique, on comprend bien l’importance et la symbolique que revêtaient les fameux « coffres de la chambre » (dont certains officiers possédaient les clefs) qui renfermaient les chemises propres du roi. De même, lorsque l’on se penche sur la prisée des garde-robes issues de courtisans, on s’aperçoit bien vite de la place importante qu’occupait ce linge. Ainsi, les chemises, par exemple, se comptaient souvent par douzaines. Cette idée de netteté et d’adéquation était ancrée depuis des générations de courtisans dans la société. Plus de quarante ans auparavant, Nicolas Faret dans son livre L’Honneste homme ou l’art de plaire à la cour en faisait déjà état. Ce n’étaient pas les hygiénistes qui dictaient les pratiques, mais bien les auteurs de traités de bienséance et de civilités.

Ces traités font aussi référence à la bonne haleine. À une époque où les dentistes à proprement parler n’existaient pas, les dents étaient un souci majeur. La beauté des femmes faisait souvent allusion à des dents bien plantées, ainsi en était-il de la marquise de Montespan. Malgré la présence d’un opérateur pour les dents qui fournissait différentes racines d’opiat pour laver les dents2, Louis XIV ne put éviter d’importantes complications de dentition. Après avoir eu des problèmes récurrents d’abcès aux gencives, il se fit arracher malencontreusement toutes la mâchoire supérieure en 1685. On parlait alors à la cour de l’odeur nauséabonde due à un « écoulement de sanie » qui sortait de sa bouche bien que l’on tenta d’y remédier par une cautérisation avec quatorze applications du bouton de feu par M. Dubois, opérateur pour les dents, comme le mentionne le récit édifiant du Journal de santé de Louis XIV.

Pour faire face à la peur de l’eau, on préférait donc s’en tenir à une toilette sèche. Celle-ci consistait essentiellement à se laver le visage et les mains avec un linge humide. Lors de son lever le matin devant ses courtisans, rapporte l’État de la France, le roi étant encore dans son lit, « le Premier Valet de Chambre, tenant de la main droite un flacon d’esprit de vin, en verse sur les mains de Sa Majesté, sous lesquelles il tient une assiette vermeil de la gauche. » […] Poursuivant son lever devant les courtisans assemblés, on présentait ensuite au roi différentes perruques, avant qu’il ne vînt s’asseoir sur son fauteuil où un barbier valet de chambre l’aidait à se peigner. […].

Mathieu Da Vinha,
directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles

1. La famille royale et les courtisans prenaient souvent les eaux à Bourbon-l’Archambault, à Forges-les-Eaux, à Barèges, ou encore à Bagnères.
2. Le lavement des dents pouvait aussi s’effectuer avec de la cire blanche.


LA REVUE CHÂTEAU DE VERSAILLES

Retrouvez l’intégralité de cet article, et bien d’autres, dans le numéro 7 de la revue Château de Versailles
à paraître en octobre 2012.
La revue Château de Versailles est disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du Château.

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