Samedi dernier, au théâtre Montansier, le Prix château de Versailles
du livre d’Histoire était attribué à une œuvre de Robert Darnton,
qualifiée de « monumentale » par certains membres du jury : L’humeur révolutionnaire. Paris, 1748-1789 (éd. Gallimard). Les débats ont été nourris pour départager les auteurs sélectionnés, d’autant plus que deux d’entre eux traitaient d’un même sujet, lié à l’approche de la Révolution.

Discours de Christophe Leribault, Président de l’Établissement public du château de Versailles, en compagnie du jury, lors de la cérémonie de remise du Prix château de Versailles du livre d’Histoire, samedi 22 novembre 2025, au théâtre Montansier. © Pierrick Daul / Ville de Versailles
Par un heureux hasard, deux ouvrages sélectionnés pour le prix évoquent, sur des périodes1 et des modes légèrement différents, le même sujet : la naissance de la pensée révolutionnaire sous l’angle de l’histoire dite événementielle, c’est-à-dire l’histoire selon la perception de ceux qui l’ont vécue.

Les deux ouvrages sélectionnés par le jury traitant des sources de la Révolution française. Le livre lauréat est celui de gauche, par Robert Darnton. © EPV / Didier Saulnier
Il se trouve, en effet, que la circulation de l’information dans Paris au XVIIIe siècle est particulièrement intense. Dans la capitale, qui est alors l’une des plus grandes villes du monde, l’animation des rues favorise les conversations : dans les cafés et les salons, dans les échoppes et sur les marchés, lors des célébrations et processions religieuses, l’on discute et l’on raconte ce que l’on a vu, parfois rapporté par les espions de la police. L’on chante aussi beaucoup, sur le pavé, lors des festivités, mais aussi au travail, et l’on n’hésite pas à ajouter des paroles pour commenter avec entrain l’actualité. Et surtout se développent les « nouvelles à la main », bulletins d’information informels ou gazettes manuscrites, qui bénéficient, après la convocation des États généraux, de la fin de la censure. Libelles et pamphlets, mémoires et journaux intimes : l’ensemble de ces documents forment un grand puzzle qui vibre des émotions ressenties, joie, étonnement, amusement, mais aussi peur, suspicion, déception, colère, qui furent des ferments de la Révolution.

Le jury réuni début novembre pour cette 8e édition du Prix château de Versailles du livre d’Histoire. © EPV / Didier Saulnier
Robert Darnton et Timothy Tackett aux sources des événements
Littéralement fasciné par ces « bruissements » de Paris, le jury, lors des délibérations, s’est notamment attardé sur ces deux ouvrages, tous deux écrits par des auteurs américains.
Le livre de Robert Darnton, avec l’érudition qu’on lui connaît, aborde en quarante-six chapitres une palette de sujets très divers. Celui de Timothy Tackett se distingue par son originalité et la qualité de sa traduction qui permet de saisir toute la subtilité de la pensée d’un modeste avocat dont a été retrouvée la passionnante correspondance. Ces publications donnent envie de voir éditées les nombreuses sources citées, notamment ces lettres – il y en a plus d’un millier – d’Adrien Colson. On peut, par ailleurs, y voir un écho direct à notre actualité politique, désormais relayée par la puissante mainmise des réseaux sociaux et si exposée aux fakes news.

Remise du Prix spécial à Benoît Carré pour son livre Distribuer l’argent du roi au XVIIIe siècle. La monarchie dévoilée, publié par les Presses universitaires du Septentrion. © Pierrick Daul / Ville de Versailles
Un outsider, Benoît Carré

Le Prix spécial du jury. © EPV/Didier Saulnier
Le vote s’est finalement porté sur le livre de Robert Darnton. Il a également profité à un outsider : le chercheur Benoît Carré, dont le jury a tenu à récompenser l’excellent travail de thèse sur les finances de la monarchie au temps du siècle des Lumières. À travers l’analyse chronologique et détaillée des pensions accordées par les rois depuis la fin du règne de Louis XIV à celui de Louis XVI, s’esquisse l’affirmation progressive d’une autorité administrative par rapport à celle des princes. Le livre révèle l’importance des montants en jeu, notamment ceux, gardés longtemps secrets, du département de la Maison du roi. Le jury a également apprécié les portraits dressés de certains administrateurs de l’État, et s’est finalement mis d’accord pour réserver, très exceptionnellement, un prix spécial à cet ouvrage pointu.
Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles
1. 1748 à 1789 pour le livre de Robert Darnton et 1778 à 1795 pour celui de Timothy Tackett : Jours de gloire et de tristesse. Une histoire extraordinaire de la Révolution par un Parisien ordinaire (éd. Albin Michel).
Cette année, le Prix Château de Versailles du livre d’Histoire s’est inscrit dans le cadre du festival Histoire de lire qui a eu lieu ce week-end.
Un prix dédié à la recherche historique en lien avec Versailles
Le Prix château de Versailles du livre d’Histoire a pour vocation de soutenir et mettre en lumière la recherche historique avec, comme cadre chronologique, les XVIIe et XVIIIe siècles. Pour cette huitième édition, cinq ouvrages ont été sélectionnés pour être présentés au jury :
- Distribuer l’argent du roi au XVIIIe siècle. La monarchie dévoilée, par Benoît Carré, Presses universitaires du Septentrion.
- L’humeur révolutionnaire. Paris, 1748-1789, par Robert Darnton, éd. Gallimard.
- Jours de gloire et de tristesse. Une histoire extraordinaire de la Révolution par un Parisien ordinaire, par Timothy Tackett, éd. Albin Michel
- Angélique Arnaud. Dissidente et janséniste, par Agnès Walch, éd. Tallandier
- Thomas Jefferson. Le président américain francophile, par Laurent Zecchini, éd. Perrin
Le Jury
– Christophe Leribault, président du château de Versailles, président du jury
– Scarlett Beauvalet, professeure émérite d’histoire moderne
– Yves Carlier, conservateur général du patrimoine au château de Versailles, président du comité de lecture
– Joël Cornette, historien
– François de Mazières, maire de Versailles
– Emmanuel de Waresquiel, historien
– Olivier Magnan, blogueur Arts et Culture Scribe accroupi
– Christine Orban, romancière
– Laurent Salomé, directeur du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
– Marie-Karine Schaub, maîtresse de conférence HDR en Histoire moderne, UPEC

Joël Cornette et Emmanuel de Waresquiel durant les délibérations du jury. © EPV / Didier Saulnier