magazine du château de versailles

L’affaire des bronzes

Ce véritable génie de l’horlogerie, au prénom singulier, aura gardé
dans son atelier la pendule de Passemant durant presque trente ans !
Une histoire rocambolesque qui ne fait qu’accroître la fascination
pour cet objet si étroitement lié au temps.

Le corps central de la pendule de Passemant après restauration, avec ses bronzes virtuoses à l’effet satiné. © EPV / Christophe Fouin

Antide Janvier naît en 1751 dans un petit hameau du Jura. Dès l’âge de quinze ans, son talent exceptionnel se manifeste lorsqu’il présente sa première sphère à planètes mouvantes devant l’Académie des sciences de Besançon qui le couvre d’éloges. Sa carrière culmine avec la réalisation, en 1788, d’une pendule astronomique monumentale surmontée d’un planétaire incluant, pour la première fois, la représentation du mouvement d’Uranus. Approuvée par l’Académie royale des sciences, elle est acquise à titre personnel par Louis XVI pour la somme – astronomique elle aussi – de 24 000 livres1. Son chef-d’œuvre, une prodigieuse horloge à sphères mouvantes et planisphères récompensée de la médaille d’or à l’exposition de 1801, demeure le mécanisme astronomique le plus complexe jamais composé2. D’une éblouissante précision et d’une infinie élégance, les œuvres d’Antide Janvier le consacrent aujourd’hui comme l’un des plus grands horlogers de tous les temps.

Entre virtuosité et déchéance financière
Malgré son génie, Janvier connaît de constantes difficultés financières qui marquent le déclin de sa carrière après 1807. Il manque toujours d’argent et vit d’emprunts, situation aggravée par sa passion du jeu. Cantonné dans la production élitiste des pendules astronomiques, à la fois coûteuses et démodées, il dépose son bilan en 1810. Sa personnalité haute en couleur contribue à ses déboires : son caractère abrupt, impulsif, orgueilleux, paranoïaque lui vaut de nombreuses inimitiés qui l’amènent à une quête perpétuelle de reconnaissance publique.

« Sa personnalité haute en couleur contribue à ses déboires :
son caractère abrupt, impulsif, orgueilleux, paranoïaque
lui vaut de nombreuses inimitiés qui l’amènent à une quête
perpétuelle de reconnaissance publique.
»

C’est dans ce contexte qu’intervient l’affaire de la disparition des bronzes de la pendule de Passemant. Premier acte : en 1800, le Garde-Meuble confie la pendule à Janvier pour restauration dans le cadre du remeublement des Tuileries. Le projet suspendu, Janvier devient dépositaire de cette « machine en souffrance » qui tombe peu à peu dans l’oubli. Deuxième acte : vingt-deux ans plus tard, un intendant des Bâtiments du roi alerte le Garde-Meuble sur cette disparition étrange. L’enquête est lancée et la pendule est finalement localisée dans l’atelier de Janvier. Le baron de Ville-d’Avray, intendant du Garde-Meuble, ordonne donc l’achèvement rapide de sa restauration. S’engage alors une correspondance invraisemblable où Janvier multiplie les excuses fantasques pour retarder l’échéance : pinaillages sur les comptes, cataracte intense l’ayant empêché d’avancer son travail, mauvaise santé de sa servante qu’il s’est dévoué à sauver avant qu’elle n’expire dans ses bras, restauration perturbée par les vices d’exécution de l’œuvre originale… Face aux sommations répétées de l’Administration, Janvier ment effrontément, et avec panache, assaisonnant parfois ses lettres de citations latines tragiques.

Extrait de la lettre d’Antide Janvier à l’intendant du Garde-Meuble de la Couronne, 4 avril 1827, Paris, Archives nationales.
© Droits réservés

Disparition fatale
Troisième acte : en mars 1827, l’inspecteur Veytard soupçonne une disparition des bronzes. Le Garde-Meuble ordonne aussitôt le retrait de la pendule de l’atelier du maître pour la confier à l’horloger Robin. Ulcéré par « cet affront dont les annales administratives n’ont pas encore offert d’exemple », Janvier clame qu’il ne survivra pas à un tel procédé. Et lorsque le vérificateur se présente à son atelier, l’horloger tente de s’échapper par une deuxième porte, avant d’avouer avoir déposé les bronzes « chez un ami »…

Dessin de la pendule de Passemant par Philippe Caffieri, s. d., Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Kunstbibliothek. Domaine public, via Wikimedia Commons

Le coup de théâtre survient le 17 avril 1827 lorsque Wagner, fidèle élève de Janvier, vient avouer que, si son vieux maître ne peut rendre la pendule, c’est qu’il a engagé les précieux bronzes au Mont-de-piété, il y a de cela dix-huit ans ! Faute de renouvellement du dépôt, ces derniers ont été vendus… Implorant l’indulgence de l’Administration pour son ami, Wagner s’engage à retrouver et à racheter lui-même les bronzes. Il parvient à achever l’interminable restauration, permettant ainsi à la pendule de réintégrer les magasins du Garde-Meuble en juillet 1828.
Cette affaire rocambolesque soulève néanmoins une question légitime pour l’histoire de la pendule : tous les bronzes ont-ils bien été rétablis ? En effet, le grand tablier qui encadrait la lentille du pendule, visible dans un dessin de Caffieri, ainsi que l’étoile sommitale au-dessus du globe de cristal, ont définitivement disparu.

Hélène Delalex,
conservatrice en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 Cette pendule fut placée dans la bibliothèque du Roi, au premier étage du château de Versailles ; il n’en reste aujourd’hui dans les collections qu’un élément, le baromètre sommital (GML 1312).
2 Pendule conservée en collection privée.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°27 (octobre 2025 – mars 2026).


À VOIR

La pendule de Passemant lors de la visite guidée « Appartements privés des rois », tous les jours à 10 h, sauf le lundi et les jours fériés.

À ÉCOUTER

Le parcours audio « Le temps à Versailles » dédié aux pendules les plus admirables de Versailles dans l’application mobile du château 


 

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