magazine du château de versailles

À l’origine
des Indes galantes

La venue en France, en 1725, de quatre chefs autochtones de la vallée
du Mississippi qui furent reçus par Louis XV fait l’objet, actuellement, d’une exposition au château de Versailles. Lors de leur visite à Paris, deux de ces chefs amérindiens dansèrent sur la scène de la Comédie-Italienne. Dans l’assistance se trouvait le célèbre compositeur Jean-Philippe Rameau qui n’en perdit pas une miette et s’en inspira
pour l’une de ses œuvres les plus connues.

Entrée des Sauvages dans la production des Indes Galantes mise en scène par Andrei Serban, présentée le 17 septembre 1999 à l’Opéra national de Paris-Palais Garnier. Paris, Bibliothèque nationale de France, département Bibliothèque-musée de l’opéra.
© Bnf / Jean-Pierre Ronnay

Créées à l’Académie royale de musique le 23 août 1735, Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau marquent une étape importante dans l’histoire de l’opéra-ballet. L’œuvre conjugue virtuosité musicale, raffinement chorégraphique et une fascination pour l’exotisme, réel ou idéalisé. Le livret de Louis Fuzelier décline quatre entrées autonomes illustrant l’amour à travers diverses contrées : l’Empire ottoman, le Pérou, la Perse et, enfin, chez les « Sauvages » d’Amérique du Nord, introduits dans l’opéra-ballet dès l’année suivante.

« Cette création s’inscrit dans un engouement général pour les pays lointains, à une époque où tous les arts […] puisent dans un imaginaire nourri par les récits de voyage et les curiosités venues d’ailleurs. »

Ces tableaux offrent autant de prétextes à évoquer des univers méconnus qui intriguent et séduisent. Cette création s’inscrit dans un engouement général pour les pays lointains, à une époque où tous les arts (musique, théâtre, peinture, mobilier…) puisent dans un imaginaire nourri par les récits de voyage et les curiosités venues d’ailleurs.

Les Sauvages, Quatrième Entrée des Indes Galantes, par Jean-Philippe Rameau, 1736-1773, Paris, Bibliothèque nationale de France, département de la bibliothèque-musée de l’Opéra.
© BnF

Les Sauvages : intensité d’un rondeau
L’entrée des Sauvages, ajoutée en mars 1736, est sans doute la plus frappante. Elle reprend une pièce que Rameau avait composée dès 1725, après avoir assisté à la venue à Paris de deux Amérindiens originaires de Louisiane. Sur la scène de la Comédie-Italienne, ceux-ci exécutent devant le public des danses rituelles au son du tambour. Le compositeur, fasciné par leur gestuelle et leurs rythmes, s’en inspire pour écrire une pièce de clavecin, Les Sauvages, publiée en 1728 dans ses Nouvelles Suites de pièces de clavecin.
Ce rondeau vif, construit sur un rythme dactylique (longue-brève-brève), traduit en musique l’intensité de ce qu’il a vu et entendu. Quelques années plus tard, Rameau intègre cette musique à l’entrée des Sauvages des Indes galantes pour accompagner la danse du Grand Calumet de la Paix qui marque la fin de la guerre et célèbre les amours des deux Indiens, Zima et Adario. Rameau y allie fraîcheur mélodique, puissance chorégraphique et invention orchestrale, sans chercher à restituer fidèlement une culture, mais en transformant l’observation en matériau de composition.

Page de titre des Sauvages, entrée ajoutée aux Indes galantes, par Louis Fuzelier, aux dépens de l’Académie, imprimé chez la V. Delormel et fils, 1751, Paris, Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares.
© BnF

Succès à la Cour, puis renaissance dans les années 1950
L’œuvre connaît un bel écho à la Cour. Les Indes galantes sont données en concert chez Marie Leszczyńska dès 1736, tantôt en intégrale sur deux jours, tantôt par entrées séparées. En 1763 à Marly, puis en 1765 à Versailles, Les Incas du Pérou et Les Sauvages figurent encore au programme des concerts de la reine. Ils sont donnés à Fontainebleau en 1769. Devenu un véritable « tube », le thème du Grand Calumet est souvent cité par d’autres compositeurs, comme Michel Corrette, qui l’emploie dans l’un de ses derniers Concertos comiques en 1773, ou Nicolas Dalayrac, qui l’intègre à l’ouverture de son opéra Azémia en 1786.
Après avoir disparu de la scène pendant plus d’un siècle et demi, Les Indes galantes renaissent en 1952 dans une production mémorable donnée au Palais Garnier, mise en scène par Maurice Lehmann, qui connaît un succès durable. Celle-ci sera d’ailleurs reprise en 1957 à l’opéra royal du château de Versailles en présence de la reine d’Angleterre, alors en visite officielle en France et pour qui on donna l’entrée des Fleurs. L’Opéra de Paris en proposera deux autres lectures marquantes : celle d’Andrei Șerban en 1999, puis celle de Clément Cogitore en 2019, saluée pour son audace visuelle et chorégraphique.

Raphaël Masson,
conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°27 (octobre 2025 – mars 2026).

Page de titre et double page intérieure du programme des Fleurs, troisième entrée des Indes galantes, donné à l’Opéra de Versailles le 9 avril 1957 en l’honneur de la Reine Élisabeth II et du Prince Philip,
musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

À VOIR

Exposition 1725. Des alliés amérindiens à la cour de Louis XV
Coorganisée avec le musée du quai Branly – Jacques Chirac

Du 25 novembre 2025 au 3 mai 2026
CHÂTEAU DE VERSAILLES
Appartement de la Dauphine

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 17 h 30 (dernière admission à 16 h 45).

Billets : accessible avec le billet Passeport, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».


COMMISSARIAT

Jonas Musco, historien, chercheur associé au musée du quai Branly – Jacques Chirac pour le projet CRoyAN

Paz Núñez-Regueiro, conservatrice générale du patrimoine au musée du quai Branly – Jacques Chirac

Bertrand Rondot, conservateur général du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon


AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne.

Visites en famille.

Un parcours audio à télécharger sur l’application mobile.

Un podcast de fiction à destination du jeune public.

Une programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles ».


À SUIVRE

« Le projet CRoyAN : nouvelles approches collaboratives en contextes autochtones nord-américains »
Colloque international où l’ensemble des collaborateurs français et autochtones impliqués dans le projet présenteront les résultats de leurs recherches.
Les 19 et 20 novembre 2025 Musée du quai Branly – Jacques Chirac, théâtre Claude Lévi-Strauss.

Rencontre publique avec les conseillers scientifiques de l’exposition
Le 21 novembre 2025, à 18 h Musée du quai Branly – Jacques Chirac, salon Jacques Kerchache.

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