magazine du château de versailles

Celui qui devait être roi

Parce qu’il n’avait finalement pas régné, le fils aîné de Louis XIV
et de Marie-Thérèse d’Autriche était tombé dans l’oubli.
Une grande exposition fait la lumière sur ce prince qui,
bien que décrié par Saint-Simon, fut un esthète.

Louis XIV présentant son fils à la Vierge [détail], par Nicolas Mignard, vers 1663-1664, Cotignac, église Notre-Dame-de-Grâces. © Cotignac, collection particulière église Notre-Dame-de-Grâces / Christophe Fouin

On l’appelait le « Grand Dauphin », mais il portait aussi le nom de « Monseigneur ». D’où viennent ces termes ?
Cela reste un peu mystérieux. En effet, à sa naissance, en 1661, Louis XIV nomme celui qui allait être son héritier « Monseigneur », ce qui étonne beaucoup la Cour. Ce terme, rarement utilisé auparavant, ne sera jamais repris par la suite.
Quant au titre de « Dauphin », il désigne l’héritier mâle depuis que le Dauphiné a été rattaché à la couronne de France, au XIVe siècle. En revanche, celui de « Grand Dauphin » n’a pas été utilisé du temps du vivant de « Monseigneur ». Il se serait plutôt imposé à sa mort pour le distinguer du « Petit Dauphin », c’est-à-dire de son fils aîné, le duc de Bourgogne, nouvel espoir de la famille royale.

L’exposition rassemble environ deux cent cinquante œuvres, peintures, dessins, sculptures, mobilier… De quelle manière explore-t-elle les différentes facettes du premier fils de Louis XIV ?

Louis de France, Le Grand Dauphin, par Robert Nanteuil, 1677, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Jean-Marc Manaï

Le Grand Dauphin, du fait de son décès précoce, avait été occulté par l’Histoire. De plus, Saint-Simon en avait dressé un portrait au vitriol, où il le décrivait « absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres ». J’ai surtout été très intrigué par cette autre sentence, qui fut ensuite répétée par Voltaire1 : « Fils de roi, père de roi, et jamais roi. » Il s’agirait d’une prophétie, faite à la naissance du prince, qui s’est imposée comme slogan ! Ainsi, j’ai construit l’exposition autour de ces trois grands axes, le premier évoquant la naissance et la préparation de Monseigneur à son futur règne, le second concernant sa famille et le troisième, enfin, sur ce qui le caractérise le plus : sa passion pour les arts décoratifs, son âme de collectionneur et l’énergie qu’il déploya pour son château de Meudon.

Avec de nombreux prêts, notamment venus d’Espagne…
J’ai pris soin de ne retenir que des objets dont nous sommes absolument sûrs qu’ils lui ont appartenu. C’est le cas, entre autres, de ses deux bronzes conservés à la Wallace Collection ou du mobilier commandé à André-Charles Boulle, pour lequel j’ai consulté les experts. Nous bénéficions d’un prêt exceptionnel du Patrimonio Nacional : deux commodes habituellement présentées au palais de la Zarzuela2. Ce sont les seules des collections royales espagnoles dont nous sommes certains qu’elles ont appartenu au Dauphin, car elles présentent un plateau marqueté de dauphins et de fleurs de lys. Sinon, une large place est réservée aux livres, avec beaucoup d’inédits, compte tenu du nombre élevé de manuscrits et d’imprimés liés au Grand Dauphin.

Paire de commodes prêtées par le Patrimonio Nacional. Conservées dans la résidence privée du roi d’Espagne, elles sont attribuées à Renaud Gaudron, entre 1690 et 1700. © EPV / Didier Saulnier

Revenons à l’histoire de ce prince qui était destiné à régner.
Comment débute-t-elle ?

La naissance du Grand Dauphin, le 1er novembre 1661, s’inscrit dans un contexte très particulier. Le mariage de Louis XIV, un an auparavant, a mis fin au conflit franco-espagnol. L’arrivée rapide de cet héritier assure la continuité dynastique. Cette nouvelle stabilité sécurise beaucoup Louis XIV qui, au décès de Mazarin, décide de gouverner par lui-même. Tout cela explique la splendeur des célébrations données à l’occasion de cette naissance. Il faut aussi rappeler que la monarchie, de droit divin, est soutenue par la ferveur populaire, qui multiplie les manifestations de joie et de reconnaissance.

Représentations de Louis de France enfant, dans la première partie de l’exposition liée à la naissance de l’héritier du trône. © EPV / Didier Saulnier

Vous détaillez l’éducation du jeune prince. Qu’a-t-elle eu de remarquable ?
Louis XIV s’est souvent plaint de sa propre éducation, qu’il jugeait insuffisante. Il a tenu à offrir à son héritier une formation rigoureuse et complète qui apparaît aujourd’hui très novatrice. Au moment de passer aux hommes, à l’âge de sept ans, Monseigneur est confié à une équipe de choc, dirigée par un militaire : le duc de Montausier. Parmi ces érudits, on trouve Jacques-Bénigne Bossuet, qui envoie son programme destiné au jeune prince au pape en personne !
Aux enseignements traditionnels, comme l’histoire de France ou la religion, cette éducation allie des matières nouvelles, tournées vers les sciences et l’art militaire, mais aussi vers les subtilités du droit français. Elle comporte également l’art du blason, notamment par le biais de devinettes déclinées à l’aide de jeux de cartes.

Une pédagogie par l’image est ainsi mise en œuvre à travers des manuels et des livres illustrés. Les auteurs de l’Antiquité font l’objet d’une véritable campagne éditoriale menée par Montausier dont les contemporains soulignent, par ailleurs, la grande sévérité. Est-ce pour cela, ou à cause d’une dyslexie, que Monseigneur n’a pas manifesté un goût prononcé pour l’étude ? Cette éducation sera, en tout cas, reprise pour les princes suivants, Louis XV et le futur Louis XVI.

L’une des vitrines de l’exposition montrant certaines pièces des somptueuses collections du Grand Dauphin. © EPV / Thomas Garnier

Après l’avoir étudié de près, comment, justement, décririez-vous la personnalité du Grand Dauphin ?
Cela me hante, car les sources ne dévoilent que très peu d’informations sur lui. « Sans vice ni vertu, sans lumières ni connaissances quelconques, radicalement incapable d’en acquérir, très paresseux, sans imagination ni production, sans goût, sans choix, sans discernement, né pour l’ennui, qu’il communiquait aux autres […] », voici comment le présente Saint-Simon ! Fort heureusement pour Monseigneur, des travaux récents ont contribué à sa réhabilitation, démontrant combien il a été un prince de son temps3. Parce qu’il ne s’était pas rebellé, on en avait déduit qu’il était fade. Certes, il n’avait pas cherché les coups d’éclat comme son père, et s’était rapidement désintéressé des campagnes militaires, mais il avait su tenir son rang. Je pense qu’il était plus libre d’esprit que Louis XIV, s’entourant du duc de Vendôme et du prince de Conti, connus pour leur liberté de mœurs, à une époque plutôt dévote. C’est, finalement, à travers ses passions que se dessine la silhouette de ce prince méconnu. Il aimait les divertissements, se rendait souvent à l’opéra, pratiquait la chasse au loup, ce qui n’était pas courant… et ses collections extraordinaires témoignent de son goût original.

La cérémonie du mariage du duc de Bourgogne et de Marie-Adélaïde de Savoie, 7 décembre 1697, dans la chapelle royale de Versailles [détail], par Antoine Dieu, vers 1710-1711, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

C’est son petit-fils, Louis XV,
qui succédera à Louis XIV.
Pourquoi « père » de roi ?

Monseigneur montre un grand respect pour tout ce qui touche à l’autorité de la famille royale. Il est très difficile de discerner ses convictions politiques, notamment au sujet des alliances qui se nouent dans les années 1690, mais c’est pourtant sur ce champ-là qu’il a fait preuve d’une opinion ferme et déterminée. Après Louis, duc de Bourgogne – futur père de Louis XV –, le Grand Dauphin a eu Philippe, duc d’Anjou (puis Charles, duc de Berry) dont le destin va basculer en 1700. En effet, le roi d’Espagne Charles II, frère de Marie-Thérèse, meurt prématurément, et son testament désigne le duc d’Anjou comme successeur. Louis XIV hésite, répugnant à déclencher une guerre4. Monseigneur insiste auprès de lui pour accepter, ce qui sera chose faite, ici même à Versailles. Plus remarquable encore, le Grand Dauphin cédera immédiatement le pas devant son fils, lui laissant ainsi sa place aux repas familiaux. Devenu roi, Philippe V partira très vite en Espagne, après des adieux déchirants, et continuera de correspondre avec son père et son grand-père.

L’une des salles de l’exposition consacrée aux fils du Grand Dauphin : Louis, duc de Bourgogne, Philippe, duc d’Anjou, et Charles, duc de Berry. © EPV / Thomas Garnier

Monseigneur, lui, n’a donc jamais été roi. A-t-il exprimé des regrets avant de mourir, peu avant la cinquantaine ?

Aucune source n’en parle, mais l’on entrevoit plutôt la lassitude de ses contemporains : il existe de nombreux portraits de son enfance et de sa jeunesse, beaucoup moins de l’âge adulte. Le décès de Monseigneur de la variole, en 1711, a plongé tout le monde dans la stupeur, et en premier lieu Louis XIV. Il précède une véritable hécatombe, avec la disparition du fils du Grand Dauphin (le duc de Bourgogne), puis de son petit-fils aîné : en moins de deux ans meurent trois dauphins de France ! À la mort de Louis XIV en 1715, la royauté revient ainsi au deuxième petit-fils de Monseigneur, un enfant qui a seulement cinq ans, Louis XV. Un véritable coup du sort pour une histoire qui avait si bien commencé.

Propos recueillis par Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

1 Dans Le Siècle de Louis XIV, publié en 1751.
2 Résidence privée du roi d’Espagne.
3 Mathieu Lahaye, Le Fils de Louis XIV. Monseigneur le Grand Dauphin (1661-1711), Seyssel, Champ Vallon, 2013.
4 La guerre de Succession d’Espagne aura bien lieu, de 1701 à 1714, contre les Habsbourg.

L’exposition est réalisée grâce au mécénat de Free – Groupe Iliad et Hubert et Mireille Goldschmidt.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°27 (octobre 2025 – mars 2026).


À VOIR

Exposition Le Grand Dauphin (1661-1711). Fils de roi, père de roi et jamais roi
Du 14 octobre 2025 au 15 février 2026
CHÂTEAU DE VERSAILLES
Salles d’Afrique et de Crimée

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 17 h 30 (dernière admission à 16 h 45).

Billets : accessible avec le billet Passeport, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».


COMMISSARIAT

Lionel Arsac, conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Scénographie : Philippe Pumain


AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition sur réservation par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne.

Un parcours audio à télécharger sur l’application mobile.

Un podcast sur l’enfance du Grand Dauphin et deux vidéos.

Une programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles ».


À DÉCOUVRIR EN FAMILLE

Le jeune public sera ravi de retrouver dans cette exposition :

  • Des cartels adaptés aux enfants.
  • Un livret-jeux gratuit, destiné aux 7-12 ans.
  • Un audioguide enfant.
  • Un espace de médiation conçu pour les enfants, accessible en visites guidées ou lors d’événements familles.

À LIRE

Le catalogue de l’exposition, sous la direction de Lionel Arsac, coédition château de Versailles / éd. Faton, 472 p., 24 x 27 cm, novembre 2025, 54 €.
Disponible sur la boutique en ligne du château.

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