magazine du château de versailles

Entrer dans la ronde

Dans le cadre d’un legs, Marie-Catherine Anouilh a offert au château
de Versailles de nouvelles possibilités d’embellissement du parc.
Cette femme amoureuse de la littérature, dont elle avait fait son métier,
nous a laissé un magnifique témoignage écrit. Voici quelques traces
de ce qu’elle voyait comme un simple passage sur terre.

Plaque indiquant les noms de donateurs sur l’un des bancs auxquels a contribué Marie-Catherine Anouilh. © EPV / Droits réservés

Sa voix au téléphone était très gaie et laissait imaginer une femme d’une grande délicatesse. Jeune, elle l’était pour partir si tôt. La soixantaine, Marie-Catherine Anouilh nous a quittés en janvier dernier.
Une de ses amies, qui a été un réel soutien lors de ses dernières années, la décrit comme une femme « solaire tout en étant discrète ». Passionnée de poésie, Marie-Catherine, résidant à Meudon, était traductrice. Elle aimait offrir à ceux qu’elle chérissait les Cinq méditations sur la beauté de François Cheng. Le Concerto pour flûte et harpe de Mozart et la Mélodie hongroise de Schubert lui permettaient aussi de méditer sur la beauté qui comptait tant pour elle.

Un legs spontané
Les suites d’un grave accident ont poussé cette femme déterminée à réfléchir à l’avenir de son patrimoine et à la manière dont elle pourrait continuer à faire vivre ce qui l’animait. Nous ne l’avons jamais rencontrée. Elle s’était adressée à nous spontanément, l’année dernière, de manière tout à fait désintéressée. Elle ne demandait rien en échange, sauf une chose : que l’on prenne soin de ses plantes d’appartement, ce dont se chargent désormais les jardiniers du château.

Portrait de Marie-Catherine Anouilh. © Droits réservés

Marie-Catherine Anouilh a fait de l’Établissement public de Versailles son légataire universel pour un montant important, en exprimant son souhait de contribuer à l’agrément des espaces extérieurs du domaine. Profondément attachée à la nature, elle a, par ailleurs, fait un don pour restaurer la roseraie de la maison de George Sand, à Nohant, dans le Berry. Et, dans un souci de perpétuer le souvenir de sa chère grand-mère paternelle, une partie de son legs sera affectée à l’amélioration de l’école communale de Gensac-sur-Garonne où celle-ci fut institutrice.

Deux bancs pour admirer la nature
Dès le lancement de la nouvelle campagne d’adoption organisée par le service mécénat, Marie-Catherine Anouilh a voulu participer à la restauration de deux bancs du domaine de Trianon. C’est ainsi que les promeneurs peuvent profiter des lieux en se reposant sur ces magnifiques bancs où les noms des donateurs apparaissent sur des plaques apposées.
Restaurer pour transmettre et faire profiter de chefs-d’œuvre retrouvés tout en soutenant les métiers d’art, telle est une des vocations de nos partenaires. C’est parce que entreprises et particuliers, fondations et institutions, sociétés amies du château de Versailles apportent leur soutien précieux par leur mécénat, leur don ou leur legs que Versailles peut continuer à offrir aux visiteurs des parcours inédits et des souvenirs uniques. Marie-Catherine Anouilh a accepté de nous laisser partager le sien, de sa belle écriture.
Le château et toutes ses équipes tiennent à honorer sa mémoire pour son engagement et sa générosité. Elle aimait aussi rappeler à sa fidèle amie un proverbe persan, reflet de sa vision de la vie : « Ce n’est pas l’épine qui protège la rose, c’est son parfum. »

Constance Louvet,
cheffe du service mécénat et relations internationales du château de Versailles

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°26 (avril – septembre 2025).


Témoignage de Marie-Catherine Anouilh, donatrice du château de Versailles

« On est de son enfance comme on est d’un pays », disait joliment Antoine de Saint-Exupéry. Et c’est en effet à cette époque bénie que s’est noué mon lien indéfectible avec le château de Versailles.

Le temple de l’Amour, dans le domaine de Trianon, avec les deux bancs adoptés par Marie-Catherine Anouilh au premier plan. © Agata Cichocka

Plus précisément un jour de mai 1971, j’avais sept ans. Maman m’avait amenée jouer au volant dans une vaste clairière plantée d’arbres centenaires, non loin du Grand Trianon. Le soleil déclinait et une lumière dorée baignait la pelouse. C’était une soirée à voir des fées danser dans la prairie… Et soudain j’ai vu au loin, tel un mirage, une farandole de petites filles tout droit issues d’un livre de la comtesse de Ségur former une ronde autour d’une fillette plus âgée. Elles portaient des robes légères couleur de dragées et leurs rires tintaient comme des grelots d’argent. Cette vision poétique m’a si favorablement impressionnée que mon esprit d’enfant y a vu la célébration par des demoiselles d’honneur du couronnement d’une toute jeune reine. Cette idée m’a ravie. Et dès lors, à chacune de mes visites à Versailles, mon imagination s’est envolée… Près du temple de l’Amour, je voyais tournoyer les ombrelles des élégantes, j’entendais le froufroutement du taffetas de leurs robes sur le chemin sinueux. Dans le dédale des bosquets, je rêvais aux bals masqués, aux confidences échangées sous le secret des éventails ; je humais le parfum de poudre de riz et les effluves subtils d’iris et de fleur d’oranger qui flottaient dans le sillage des courtisanes. L’hiver, je les voyais, parées de manchons d’hermine, patiner en virevoltant sur le Grand Canal gelé…

« Et dès lors, à chacune de mes visites à Versailles, mon imagination
s’est envolée… Près du temple de l’Amour, je voyais tournoyer
les ombrelles des élégantes, j’entendais le froufroutement du taffetas
de leurs robes sur le chemin sinueux.
»

Puis j’ai grandi, sans que jamais ne s’émoussent ma passion pour le château de Versailles et les songes qu’il m’inspirait. Comment s’étonner alors que je sois devenue traductrice, puis éditrice, de romans historiques ? Je m’immisçais dans l’intimité des alcôves, je galopais à bride abattue derrière des bandits de grand chemin ! J’aimais cette littérature très visuelle qui entraîne à un rythme échevelé sur les sentiers et dans les coulisses de l’Histoire. J’y ai retrouvé le bonheur que j’éprouvais, enfant, en imaginant les riches heures de la cour du Roi-Soleil.
Voilà pourquoi j’ai choisi de poursuivre ma romance avec Versailles en adoptant, dans le jardin anglais du Petit Trianon, près du temple de l’Amour, deux bancs qui se font face à l’ombre d’un bel arbre. Quand le temps sera venu, j’y viendrai retrouver ceux qui me sont chers. Nos âmes délaisseront les cieux pour venir goûter, l’espace d’un moment, le bonheur ineffable d’habiter encore le plus bel endroit du monde… »

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