Depuis le début de l’année et jusqu’en juin,
l’écrivain et l’homme de médias Michel Field propose aux abonnés du château de Versailles, un cycle de rencontres autour de Louis XIV.
Chaque séance, en présence de trois invités, aborde un aspect particulier de la vie du monarque : l’enfance, l’exercice du pouvoir, ses relations avec sa famille et ses familiers, son image de Roi-Soleil, son rapport à la guerre et à Dieu… Jusqu’à sa mort, dont on célèbre, le premier septembre
de cette année, les 400 ans.

Planche à la gloire de Louis XIV et aux événements de son règne, par Nicolas Ponce (graveur 1746-1831) et Clément-Pierre Marillier (dessinateur 1740-1808). © Château de Versailles / CRCV

Portrait de Michel Field. © AFP, Paris / Jacques Demarthon
Dans votre cycle de conférences, vous proposez d’aborder la figure de Louis XIV. Qu’évoque-t-elle pour vous ?
En cette année anniversaire, puisque Louis XIV est mort en 1715, les responsables du Château ont eu l’idée d’organiser ce cycle de rencontres autour du Roi-Soleil, et j’ai été très honoré d’être sollicité pour les animer. De quelque côté qu’on porte le regard, sur l’homme, sur le souverain aussi bien que sur le règne, on est impressionné. Rarement personnalité se sera à ce point identifiée à sa fonction, et rarement la fonction aura été à ce point élevée par une personnalité hors du commun. Je suis très sensible à ces points d’intersection entre l’individuel et l’historique.

Portrait présumé de Louis XIV enfant, portrait attribué à Louis Elle le Père, 1640-1689, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Jean Popovitch
Y a-t-il un épisode de la vie de Louis XIV qui vous fascine ou vous intéresse particulièrement ?
Ce qui m’a toujours fasciné, c’est la durée exceptionnelle de son règne, qui accompagne et accélère tant d’évolutions structurelles de la société française. Ce qui m’a toujours intéressé, ce sont ses années de formation. Souvenons-nous de la sévérité du jugement porté par Saint-Simon : « né avec un esprit au-dessous du médiocre »… Les historiens s’accordent à penser qu’il souffrit d’un « complexe d’infériorité » dû à une absence d’éducation classique. Le moins que l’on puisse en dire, c’est qu’il compensa largement son retard ! Et puis cette enfance dans les tumultes de la Fronde où il est à la fois préservé et initié, il y a là quelque chose de follement romanesque…
Quels seront vos invités pour ce cycle ? Comment les avez-vous choisis ?
Chaque rencontre a été ou sera l’occasion d’écouter les plus éminents spécialistes des thèmes choisis. De Jean-Christian Petitfils à Joël Cornette, de Georges Vigarello à Annie Duprat ou Alexandre Maral. Que l’occasion me soit donnée de saluer la disponibilité de toutes ces personnalités qui répondent présent et de les remercier. Les premiers échanges ont été formidables, mélange d’érudition, d’humour, de complicité intellectuelle. Et d’ouverture aux questions du public présent qui, passionné, n’est pas avare d’interventions !
Vous avez été enseignant, notamment professeur de philosophie, avant de devenir journaliste et producteur. Quelle importance a eu cette expérience pédagogique dans votre rapport au savoir et à l’histoire ?
J’ai toujours eu l’ambition de continuer à être un peu prof dans mes activités médiatiques. Un goût de la pédagogie et du savoir à transmettre. Voilà pourquoi aussi, de L’Hebdo (Canal +, fin des années 1990) à l’émission culturelle Au Field de la Nuit actuellement sur TF1, j’ai toujours aimé les formats d’émission auxquels pouvaient participer des jeunes, lycéens ou étudiants. Recevoir chaque semaine et faire débattre les plus éminents historiens, comme j’ai le privilège de le faire sur la chaîne Histoire, exige de ma part une lecture attentive de leurs œuvres : mes années de khâgne et celles de ma préparation à l’agrégation de philo continuent à m’être d’une grande utilité !
Dans l’un de vos derniers « Historiquement Show », un des invités, l’écrivain Régis Debray, proposait de condenser le propos de votre émission grâce au slogan suivant « Intéressez-vous à ce qu’il y avait avant parce que ce qui s’est passé avant peut se passer après. » Vous reconnaissez-vous dans ce propos ?
La rencontre que vous évoquez entre Régis Debray et Jean-François Colosimo sur « le retour du religieux » a été un moment rare d’échange intellectuel de très haut niveau. Le réalisateur m’a confié qu’un grand silence concentré s’était établi en régie pendant l’enregistrement : c’est toujours un bon signe quand celles et ceux qui fabriquent une émission sont les premiers intéressés par elle. Je partage avec Régis Debray cette conviction que la connaissance de l’histoire est fondamentale pour comprendre le présent. Est-elle suffisante pour éviter que les drames ne se reproduisent ? Je n’en suis, hélas, pas convaincu. Souvenons-nous toujours d’une des énigmes majeures du siècle dernier : comment la barbarie nazie a-t-elle pu naître et prospérer dans l’un des fleurons européens de l’art et de la culture ?

Louis XIV, roi de France, devant le soleil rhodien, portrait attribué à Philippe Vignon, 1678-1700, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
© RMN-GP (Château de Versailles) / Gérard Blot
L’une des premières séances de votre cycle, le 20 février dernier, était consacrée aux grands héros de l’Antiquité et aux figures mythologiques auxquelles Louis XIV s’identifiait. Que cela nous apprend-il sur son rapport à l’histoire ?
De conférence en conférence, nous retrouvons toujours la formidable théorie d’Ernst Kantorowicz sur « les deux corps du Roi » : le monarque est d’une part cet individu singulier, avec ses passions, ses intérêts, son génie et ses limites – et d’autre part le maillon d’une chaîne ininterrompue, celle de la Royauté en tant qu’instance médiatrice de l’humain et du divin. Dès lors, tout monarque pense au-delà de lui-même, façonne sa propre postérité et la construit. Dans son récent ouvrage sur Le Goût des Rois, Jean-François Solnon souligne les deux passions du Roi-Soleil qui illustrent cette double nature temporelle : la danse, harmonie de l’éphémère que permet la discipline du corps mortel, et la construction monumentale, harmonie de la postérité qui glorifie l’éternité du Corps Royal.
« […] le monarque est d’une part cet individu singulier, avec ses passions, ses intérêts, son génie et ses limites – et d’autre part le maillon d’une chaîne ininterrompue, celle de la Royauté en tant qu’instance médiatrice de l’humain et du divin. »
Blaise Pascal, proche des jansénistes que Louis XIV haïssait, critiquait une tendance, chez l’homme, à se condamner au malheur en errant « dans des temps qui ne sont pas les nôtres », oubliant de vivre dans le présent, le « seul qui nous appartient ». Pensez-vous que cette pensée puisse s’appliquer à Louis XIV ? Fut-il un homme malheureux ?
Je crois que nos catégories psychologiques de « bonheur » ou de « malheur » ne rentrent pas dans la « programmation » d’un souverain. Tout comme l’amour n’entre pas en ligne de compte dans les critères, exclusivement politiques et diplomatiques, des mariages. L’analyse de Pascal ne concerne que la condition humaine. Or le Roi échappe à cette condition, puisqu’il est dépositaire d’une part de divin. Son « présent » ne fait qu’un avec ce dont il a dynastiquement hérité et ce qu’il doit léguer à l’avenir. Ce par quoi son destin s’échappe du nôtre, « humain, trop humain »… !
Propos recueillis par Victor Guégan
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°7 (avril – septembre 2015).
En octobre, une grande exposition sur la mort des rois !
Du 27 octobre 2015 au 21 février 2016, une grande exposition « Le roi est mort » se tiendra au château de Versailles à l’occasion du tricentenaire de la mort de Louis XIV. La mort du roi est un moment essentiel dans la construction de l’imaginaire monarchique, alliant le religieux (mort d’un chrétien) au politique (mort et résurrection du roi, qui ne meurt jamais). De l’agonie à la mise au tombeau, elle tient de la représentation, du grand spectacle baroque, et joue un rôle fondamental pour la société de cour dont elle marque plus que jamais les rangs.

Mort de Louis XIV, 1715, Pieter I Schenck. © Château de Versailles / CRCV
L’exposition – la première sur le sujet – s’appliquera avant tout à retracer les détails, étrangement peu connus, de la mort, de l’autopsie et des funérailles de Louis XIV, et à les replacer dans le contexte cérémoniel de celles des souverains européens de la Renaissance aux Lumières. En conclusion sera évoquée la survie – souvent paradoxale – de ce rituel depuis la Révolution jusqu’à l’époque contemporaine.
À VOIR
Rencontres « Louis XIV »
Michel Field et ses invités
Rendez-vous à la grille d’honneur
Durée : 1 h 30
Tarif : 16 € et 7 € avec la carte « 1 an à Versailles »
Prochaines séances : horaires et dates annoncées chaque mois sur abonnement.chateauversailles.fr
Réservation : 01 30 83 76 20
PROCHAINEMENT
Le roi est mort
Du 26 octobre 2015 au 21 février 2016
Salles d’Afrique et de Crimée
Gratuit avec la carte « 1 an à Versailles »