Quand l’Italie n’était pas encore unie, le royaume des Deux-Siciles,
avec Naples pour capitale, fit édifier « son » Versailles :
le palais de Caserte, entouré de jardins enchanteurs,
qui reste la plus grande résidence royale au monde.

La façade principale du palais de Caserte du côté de la ville en 1828. Huile sur toile anonyme. © Salvatore Fergola
En 1751, Charles de Bourbon, arrière-petit-fils de Louis XIV, qui règne sur Naples et la Sicile, exprime la volonté d’ériger une résidence capable de rivaliser avec celle de son superbe aïeul. Même la distance depuis la capitale régionale est semblable : une vingtaine de kilomètres de Naples, comme Versailles de Paris. À l’abri des excursions ennemies sur les côtes, le site choisi se trouve assez loin du Vésuve et de la mer, offrant une protection en cas d’éruption du volcan. […]
À l’instar du modèle français, le souverain compte y transférer aussi bien sa cour que les principales administrations du royaume. À cet effet, il planifie de relier Naples et Caserte par une avenue monumentale tirée au cordeau. De nos jours, la Viale Carlo III di Borbone remplit ce rôle. Un voyageur du XIXe siècle note que celui qui veut jouir de la perspective qu’offre le palais de Caserte doit le voir en venant de Naples : « À un mille de distance, il aperçoit déjà sa façade immense, et surtout cette belle cascade qui se précipite d’une hauteur de trois milles, et dessine une ligne d’écume plus éclatante que la neige. »
À distance des caprices du Vésuve
Le célèbre architecte et paysagiste Luigi Vanvitelli, d’origine hollandaise, est alors à l’apogée de son art et jouit d’une réputation affirmée après avoir dirigé de grands travaux à Urbino, Rome, Naples ou Ancône. Son projet plaît immédiatement à Charles de Bourbon, qui y retrouve ses rêves de grandeur et de puissance. La première pierre du palais royal de Caserte (Reggia di Caserta) est posée le 20 janvier 1752, jour du trente-sixième anniversaire du roi. […] Cependant, en 1759, le monarque est appelé à ceindre une autre couronne et devient Charles III d’Espagne. Il quitte Naples et son nouveau palais inachevé, laissant derrière lui seulement le premier étage du corps du bâtiment et l’ébauche du parc.
« En 1767, une éruption du Vésuve donne tant de frayeurs au roi qui réside au palais de Portici, trop proche du volcan, qu’il ordonne la reprise des travaux à Caserte. »
Le troisième fils de Charles, qui lui succède sur le trône napolitain sous le nom de Ferdinand IV, n’est alors âgé que de huit ans. Le conseil de régence, présidé par le ministre Bernardo Tanucci, prêche l’économie et oppose un veto aux demandes de l’architecte. Mais la nature s’en mêle : en 1767, une éruption du Vésuve donne tant de frayeurs au roi qui réside au palais de Portici, trop proche du volcan, qu’il ordonne la reprise des travaux à Caserte. L’année suivante, Ferdinand épouse Marie-Caroline d’Autriche ; en sa compagnie, il inaugure la grande cascade. […]

Le palais et ses jardins de nos jours. © Carlo Pelagalli
Des Bourbons aux Bonaparte
Après la mort de l’architecte en 1773, le chantier se poursuit sous la direction de Carlo Vanvitelli, fils de Luigi, qui se voit obligé de revoir le projet de son père à la baisse pour des raisons financières. Il utilise les pierres italiennes : le tuf de San Nicola, le travertin de Bellona, le calcaire de San Leucio, la pouzzolane de Bacoli, le marbre gris de Mondragone, le marbre blanc de Carrare. Le couple royal réside régulièrement dans le palais depuis 1780 jusqu’à l’invasion française. La reine dépense beaucoup pour le décorer, créer une galerie d’art et réunir une collection de porcelaine. […] Une nouvelle parenthèse française s’ouvre en 1806 avec l’arrivée de Joseph Bonaparte, frère de Napoléon, qui ceint la couronne napolitaine. Deux ans après, il est remplacé par son beau-frère Joachim Murat, époux de Caroline Bonaparte. Le flamboyant cavalier se montre un souverain sensible aux arts. Il engage des architectes et des artistes pour effectuer de grands travaux à Caserte, résidence qu’il affectionne. […]
En 1815, la chute de l’Empire napoléonien entraîne la restauration des Bourbons. Le roi change de numéro et devient Ferdinand Ier des Deux- Siciles. C’est à Caserte qu’il signe, le 8 décembre 1816, l’acte de l’unification des royaumes de Naples et de Sicile, créant ainsi le plus grand État de la péninsule italienne. Il ordonne d’enlever tout ce qui rappelle Murat – qu’il a fait fusiller –, tout en gardant le mobilier Empire de la salle d’Alexandre.
Critiques françaises
Stendhal s’y rend en 1817 et trouve le palais fort au-dessous de sa réputation : « Je viens de faire trente milles inutiles. Caserte n’est qu’une caserne dans une position aussi ingrate que Versailles. » […]
Et Alexandre Dumas, au milieu du XIXe siècle : « Caserte, le Versailles de Naples, est, en effet, une bâtisse dans le goût froid et lourd du milieu du XVIIIe siècle. Les Napolitains qui n’ont point voyagé en France soutiennent que Caserte est plus beau que Versailles ; ceux qui ont voyagé en France se contentent de dire que Caserte est aussi beau que Versailles ; enfin, les voyageurs impartiaux qui ne partagent point l’engouement fabuleux des Napolitains pour leur pays, sans mettre Versailles très haut, mettent Caserte fort au-dessous de Versailles. » […]
Les Bourbons possèdent le domaine de Caserte jusqu’en 1860 […]. Le dernier souverain de cette dynastie à y résider est François II, dont le règne s’achève par la disparition du royaume des Deux-Siciles et la fondation du royaume d’Italie sous l’égide de la maison de Savoie.
Natalia Griffon de Pleineville,
historienne
Le palais de Caserte fait partie, avec le château de Versailles, des membres fondateurs de l’Association des résidences royales européennes dont il accueillera, en 2024, la réunion technique sur l’entretien et la gestion des parcs et jardins historiques.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°23 (octobre 2023 – mars 2024).
À LIRE
Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 50 de la revue Château de Versailles (juillet-septembre 2023), disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du château : boutique-chateauversailles.fr