Alexandrine Le Normant d’Étiolles (1744-1754) a vécu trop peu de temps pour avoir marqué l’histoire. Elle met en lumière, en revanche,
la vigilance de la marquise de Pompadour dont elle a été la fille unique.
Extrait de l’article
« Alexandrine Le Normant d’Étiolles : l’ambition d’une mère »
dans la revue Château de Versailles n°48.

Portrait de Madame de Pompadour et sa fille, estampe par Jules-Adolphe Chauvet d’après François Guérin, XIXe siècle, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © DR
[…] Le destin d’Alexandrine tend à se faire plus clair pour l’historien à partir de ses cinq ans : elle apparaît désormais très régulièrement dans la correspondance de sa mère. La marquise la fait venir régulièrement à la Cour et dans ses résidences, sans qu’elle y demeure de façon permanente. […]

François Boucher, Portrait d’Alexandrine Jeanne Le Normant d’Étiolles (1744-1754), 1749, huile sur toile, H. 53 ; L. 45 cm. Acquisition du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, dist. RMN / Christophe Fouin.
Des séjours à Versailles relatés
par un grand-père
[Très intéressant] est l’épisode que rapporte François Poisson. Le grand-père écrit, à une date inconnue, sans doute entre décembre 1749 et avril 1750 : « La petite Alexandrine, habillée en Sœur grise, a fait un rôle sur le théâtre des Petits Appartements. Elle était à manger, et elle demeure avec sa maman depuis dix jours. » Quand elle est à Versailles, la petite fille participe donc à la vie de Cour, la marquise, sans doute fière d’elle, la présente sur les planches du théâtre construit sur les marches de l’escalier des Ambassadeurs […]. Par ailleurs, François Poisson nous livre une indication sur le lieu où loge Alexandrine quand elle est au château : « Depuis trois ou quatre mois sa mère l’avait retirée auprès d’elle, et […] l’avait logée dans ses petits entresols », auprès de madame du Hausset (lettre du 11 juin 1750). […] Lorsqu’elle passe quelques jours chez lui à Marigny-en-Orxois, François Poisson est un grand-père très attentionné, ce qui nous vaut l’une des diatribes les plus célèbres de la marquise de Pompadour, en décembre 1752 : « J’ai fait venir Alexandrine à La Muette, mon cher père, elle était en bonne santé. Cependant, vous avez à vous reprocher de lui avoir occasionné une indigestion. Pourquoi faut-il que les grands-parents gâtent toujours leurs petits-enfants ? Je trouve qu’elle enlaidit beaucoup ; pourvu qu’elle ne soit pas trop choquante, je serai satisfaite, car je suis très éloignée de lui désirer une figure transcendante. Cela ne sert qu’à vous faire des ennemies de tout le sexe féminin, ce qui, avec les amis desdites femmes, fait les deux tiers du monde. » […]
« C’étoit un appui pour elle dans les événements d’avoir sa fille duchesse, et dans la maison de Chaulnes et Luynes, qui est en grand crédit
à la Cour. »

Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour en Diane chasseresse, par Jean-Marc Nattier, 1746, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Ce portrait fut peint peu de temps après la présentation officielle de la marquise, devenue maîtresse de Louis XV, à la Cour. Sa fille Alexandrine avait alors deux ans. © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / © Gérard Blot
Le rêve d’un très brillant mariage
Les menées que madame de Pompadour entreprend pour marier sa fille dans une bonne famille de l’aristocratie aulique s’apparentent à une vraie politique matrimoniale. […] Entre 1750 et 1754, elle tente au moins à deux reprises un rapprochement avec une grande famille de la Cour. À en croire le Journal du marquis d’Argenson, le premier à faire les frais de cette politique serait le maréchal de Richelieu, soutien de la favorite à ses premières heures. Le mémorialiste note à la date du 4 octobre 1751 : « On annonce que, le roi lui [le maréchal de Richelieu] ayant proposé de marier M. le duc de Fronsac, son fils, avec mademoiselle Alexandrine, fille et unique héritière de madame de Pompadour, il a répondu que la mère de son fils étant de la maison de Lorraine, il lui falloit préalablement consulter l’empereur pour savoir s’il approuvoit ou non ce mariage : de là brouillerie ouverte. » […] Faute d’être parvenue à prendre le duc de Fronsac pour gendre, madame de Pompadour se tourne vers le duc de Chaulnes. En 1751, elle lui prête 500 000 livres, « sûre manière de fidéliser un aristocrate1 ». L’année suivante, le 25 août 1752, d’Argenson indique : « Le mariage du fils de M. de Chaulnes est convenu avec Mademoiselle Alexandrine, fille de madame de Pompadour. » […] À ce sujet, le chroniqueur Barbier ne s’y trompe pas, après le décès d’Alexandrine, en 1754, il analyse très justement : « Le mariage devoit se faire dans un an et demi. […] C’étoit un appui pour elle dans les événements d’avoir sa fille duchesse, et dans la maison de Chaulnes et Luynes, qui est en grand crédit à la Cour, surtout avec les biens considérables qu’a madame de Pompadour, au lieu que la voilà isolée. » […]
Deuil masqué
Après la mort d’Alexandrine, madame de Pompadour ne s’est cependant, semble-t-il, pas laissée aller à trop d’effusions. Le duc de Luynes note ainsi, le 19 juin : « Mme de Pompadour est à Bellevue très affligée et incommodée ; elle a été saignée du pied. » Quant au duc de Croÿ, au début du mois d’août, il analyse finement : « Je vis, pour la première fois, la Marquise, depuis la perte de sa fille, coup affreux dont je la croyais écrasée. Mais, comme trop de douleur aurait fait trop de tort à sa figure, et peut-être à sa place, je ne la trouvai ni changée, ni abattue, et, par un de ces miracles de Cour qui sont fréquents, je ne la trouvais ni plus mal, ni affectant l’air plus sérieux. Cependant, […] elle était vraisemblablement aussi malheureuse intérieurement qu’elle paraissait heureuse extérieurement. » Il semble bien que madame de Pompadour ait su jouer de ces masques de cour, art qu’elle maîtrisait parfaitement. En effet, en parallèle de ces témoignages extérieurs, nous disposons d’une admirable lettre de la marquise destinée au comte de Stainville, le futur Choiseul, alors ambassadeur près le Saint-Siège. Non datée, la missive semble toutefois s’inscrire dans l’actualité du douloureux événement : « Je suis sensible à l’inquiétude que vous avez sur mon bonheur. Le 15 juin y a mis un obstacle invincible. Toute satisfaction est morte pour moi avec ma fille. Il ne s’agit actuellement que de plus ou de moins de distraction. »
Luc Grosshans,
historien
1 Robert Muchembled, Mystérieuse madame de Pompadour, Paris, Fayard, 2014, p. 184.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°22 (avril – septembre 2023).
La revue Château de Versailles
Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 48 de la revue Château de Versailles (janvier-mars 2023), disponible en kiosque et sur la boutique en ligne du château : boutique-chateauversailles.fr