magazine du château de versailles

Souvenirs
d’un Parisien ordinaire

Parmi la sélection du jury du Prix château de Versailles du livre d’Histoire, attribué samedi dernier à Robert Darnton, figurait un autre ouvrage
sur le Paris de la fin du XVIIIe siècle : celui de Timothy Tackett,
Jours de gloire et de tristesse (éd. Albin Michel),
qui s’appuie sur une correspondance des plus précieuses.

Le Grand Châtelet de Paris, dessin édité en 1800, Paris, Bibliothèque nationale de France. © Bibliothèque nationale de France (BnF) / Département Estampes et photographie
Siège de la deuxième plus importante cour à Paris, Adrien Colson a dû souvent se rendre au Grand Châtelet et fréquenter les échoppes voisines, d’autant plus qu’il habitait non loin.

Le livre de Timothy Tackett est le fruit de la chance : celle d’avoir retrouvé une rare correspondance, faite de plus de mille lettres adressées à un ami par un modeste avocat de Paris entre 1778 et 1795. Mais ce livre a aussi le grand mérite de rendre lisibles et réjouissantes toutes ces considérations sur la vie à Paris et les intenses bouleversements des années 1780.

Petit avocat logé près du Châtelet
Adrien Colson, fils d’un tanneur de Varennes – là où précisément Louis XVI et sa famille furent arrêtés dans leur fuite ! – vient définitivement s’établir à Paris comme conseiller juridique et intendant d’une famille noble, les Longaunay. Il s’installe en plein cœur de la capitale, entre le Châtelet et l’hôtel de ville, dans une rue passante et populaire qui joue un rôle déterminant dans sa perception des événements : la rue des Arcis, aujourd’hui disparue, où se côtoient petits artisans et marchands. Chez le cafetier du coin, Colson prend ses repas tout en entendant les commérages du quartier. N’étant pas marié, sans charge d’enfants, il passe beaucoup de temps dehors, se rendant à pied, par souci d’économies, à ses divers rendez-vous professionnels. Il fréquente notamment le Palais-Royal dont il apprécie, comme tant d’autres, les bouquinistes et les buvettes.

Galerie et jardins du Palais-Royal au XVIIIe siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France. © Bibliothèque nationale de France (BnF) / Département Estampes et photographie

Des impressions confiées à son ami du Berry
L’homme de loi apparaît ainsi comme un témoin ordinaire, mais plein de curiosité et de finesse, d’une époque qui, elle, a été tout à fait extraordinaire. Et c’est le regard tout d’abord crédule, puis de plus en plus affirmé, de cet homme qui fait le charme de cette publication. Se confiant à son collègue et ami Roch Lemaigre, régisseur du domaine des Longaunay dans le Berry, Colson lui raconte, semaine après semaine, ses impressions. Il rapporte de multiples anecdotes et s’interroge sur la portée des événements, s’indignant tout d’abord pour la famille royale, puis s’engageant dans la « section » de son quartier, à l’origine de la garde nationale.

Bénédiction des drapeaux de la garde nationale dans la cathédrale Notre-Dame, le 12 septembre 1789, par Jean-Louis Prieur (dessinateur), eau-forte extraite d’un recueil de gravures allemandes sur les événements de la Révolution française et éditée entre 1794 et 1820, Bibliothèque nationale de France. © Bibliothèque nationale de France (BnF) / Département Estampes et photographie
Colson était peut-être présent, derrière le drapeau de son district.

Modération et enthousiasme
Catholique fervent, employé dévoué à sa tâche – voire père de substitution pour les deux fils Longaunay – totalement ignorant du courant des Lumières dont il ne cite aucun des protagonistes, Colson fait montre de modération et de fidélité. Ses lettres suivent pas à pas l’évolution de sa pensée qui se radicalise à partir de la tentative de fuite de Louis XVI. Elles illustrent l’état d’esprit de nombreux habitants de Paris qui n’ont rien vu venir et ont vécu dans l’incertitude et l’angoisse durant plusieurs années. Entre l’enthousiasme soulevé par des idées auxquelles Colson n’aurait jamais accédé par lui-même et les vagues de panique suscitées par les soupçons de conspiration, les débuts de famine et l’approche des Prussiens, s’élaborent des convictions bien loin des fureurs de la Révolution communément rapportées qui voilent une réalité plus prosaïque, et quelque peu rassurante sur le commun des mortels.

Lucie Nicolas-Vullierme,
rédactrice en chef des Carnets de Versailles

Supplice de Foulon à la place de Grève, le 23 juillet 1789, par Jean-Louis Prieur (dessinateur) et Pierre-Gabriel Berthault (graveur), 1802, Paris, Bibliothèque nationale de France. © Bibliothèque nationale de France (BnF) / Département Estampes et photographie
Dans une lettre datant du 19 juillet 1789, Adrien Colson décrit le lynchage de ce ministre conservateur et de son gendre, intendant de Paris. Était-il dans la foule ?


© EPV/Didier Saulnier

À LIRE

Jours de gloire et de tristesse. Une histoire extraordinaire de la Révolution par un Parisien ordinaire, par Timothy Tackett, Paris, éd. Albin Michel, fév. 2025.

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