magazine du château de versailles

Utrillo au secours
du château

En 1952, Maurice Utrillo entend le cri d’alarme lancé par le secrétaire
d’État aux Beaux-Arts, André Cornu, prédisant la ruine imminente
du château. L’artiste prend ses pinceaux et compose une œuvre destinée
à financer la sauvegarde du monument national. Soixante-dix ans après
la mort du peintre, le musée vient d’acquérir ce tableau.

Château de Versailles, par Maurice Utrillo, vers 1952, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, V.2024.56.
Huile sur panneau. H. : 33,8 ; L. : 42 cm.

Ce tableau a été acquis en vente publique à Zurich en novembre 2024. © EPV / Christophe Fouin

Fils de l’artiste Suzanne Valadon, Maurice Utrillo est mondialement connu pour ses vues de Paris qu’il a déclinées à foison une grande partie de sa vie. Si le quartier de Montmartre constitue un de ses sujets favoris, le peintre s’est également intéressé à d’autres univers urbains, notamment de la banlieue parisienne. C’est à partir de la Première Guerre mondiale que les représentations de Versailles font leur apparition dans son œuvre. Le Hameau de Marie-Antoinette semble retenir tout particulièrement l’attention de l’artiste, probablement en raison du charme intemporel de ses chaumières.
En 1935, Utrillo et son épouse Lucie Valore s’installent dans une propriété du Vésinet. Cette nouvelle résidence éloigne le peintre des cabarets parisiens et lui offre un ermitage moins propice aux excès de boisson. Malgré une santé ruinée par des années d’ivresse et de dépression, l’artiste « maudit » est enfin parvenu au sommet de sa carrière. Peu après la douloureuse disparition de sa mère intervient la Seconde Guerre mondiale, contraignant le peintre bohème à de nouvelles errances.

Vue aérienne du château de Versailles. Photographie de Raymond Delvert, carte postale éditée par Maison Combier, après 1946, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin

Une levée de fonds soutenue par de grands artistes
Domicilié à moins d’une quinzaine de kilomètres du château de Versailles, Maurice Utrillo ne peut ignorer l’état dans lequel se trouve le château de Versailles au sortir du conflit. Au début des années 1950, le monument menace ruine et une très importante campagne médiatique est engagée afin de lever des fonds. On estime qu’il ne faut pas moins de cinq milliards de francs pour sauver ce patrimoine… Durant plusieurs dizaines de mois, un comité de sauvegarde œuvre à cette opération. Celle-ci est relayée à l’occasion d’un appel d’André Cornu, secrétaire d’État aux Beaux-Arts, diffusé à la radio le 1er février 19521. Frappant de nombreux esprits, ce cri d’alarme est par bonheur largement entendu, aussi bien en France qu’à l’étranger.
Ce vaste effort collectif est également soutenu par des artistes de renom, comme Henri Matisse, Raoul Dufy, mais aussi Maurice Utrillo. Avant la fin de l’année 1952, ce dernier conçoit ainsi un tableau représentant le château depuis la place d’Armes. Les portes de la grille d’honneur y apparaissent grand ouvertes, et la scansion verticale des barreaux laisse entrevoir une vision colorée des bâtiments situés à l’arrière-plan. L’architecture est ici transfigurée, tant du point de vue des formes que de la chromie, toutes assez fantaisistes.

Timbre diffusé à partir de décembre 1952, d’après Maurice Utrillo, archives du château de Versailles. © EPV / Christophe Fouin

Un timbre vendu à plusieurs millions d’exemplaires
Si l’on ignore à ce jour le contexte exact de sa commande, ce tableau a servi de modèle à une carte postale et à un timbre qui ont été vendus à grande échelle pour la campagne de sauvegarde du château de Versailles. Gravé par Henry Cheffer, le timbre est diffusé, entre 1952 et 1955, à plusieurs millions d’exemplaires, ce qui témoigne de son succès populaire. Comme l’ont fait remarquer les philatélistes, il s’agit d’ailleurs d’un des tout premiers timbres d’après l’œuvre d’un artiste encore vivant, et sa sortie est particulièrement remarquée2. Sa parution le 20 décembre 1952 s’accompagne d’un communiqué de presse de l’Administration des Postes, télécommunications et télédiffusion (PTT), qui conclut : « Ainsi s’est affirmée la solidarité du pays et celle – non moins émouvante – qui unit les grands peintres d’aujourd’hui aux grands artistes d’hier3. » De surcroît, Maurice Utrillo vend plusieurs de ses toiles au profit de la caisse de restauration du château, lors d’une exposition à la galerie Pétridès en mai 1953, organisée deux ans avant sa mort4.

« Ainsi s’est affirmée la solidarité du pays et celle – non moins émouvante – qui unit les grands peintres d’aujourd’hui aux grands artistes d’hier. »

Au-delà de sa valeur artistique et du motif versaillais qui la caractérise, cette œuvre constitue un des symboles les plus marquants de la campagne de sauvegarde hors norme déclenchée en faveur du château au sortir de la Seconde Guerre mondiale. À ce titre, elle fait écho au film tourné au même moment par un ami d’Utrillo, Sacha Guitry, Si Versailles m’était conté. Elle mérite donc toute sa place dans les collections du musée.

Claire Bonnotte Khelil,
collaboratrice scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 Églantine Pasquier, « André Cornu et la sauvegarde de Versailles », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [en ligne].
2 Jean-François Brun, Le Patrimoine du timbre-poste français, Paris, Flohic, 1999, p. 411, 419, 426.
3 Archives du musée de la Poste, aimablement communiquées par Marthe Bobik, responsable du centre de documentation.
4 Maurice Sérullaz, « Au profit de la caisse de restauration du château de Versailles. Exposition des œuvres importantes de Maurice Utrillo », France Illustration. Le Monde illustré, nº 397, 23 mai 1953.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°26 (avril – septembre 2025).

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