Un siècle plus tard, en 1788, avait lieu la fameuse visite de l’ambassade indienne envoyée par Tipou Saëb auprès du roi Louis XVI. Deux tentures illustrent les liens qui existent alors entre la France et l’Inde.

Tipu Sultan [détail], par la Manufacture Hartmann & Fils, Munster, vers 1825, musée de la Toile de Jouy. © Musée de la Toile de Jouy
Toile de coton imprimée au rouleau de cuivre. Les médaillons représentent successivement : l’île de Seringapatam, au royaume de Mysore, où est construit le palais d’été ; le sérail des femmes de Tipou Saëb, que les Anglais massacreront en 1783 à Hydernagar ; les devins consultés par Tipou accompagné de ses deux fils ; Tipou, plein de colère, voulant poignarder un officier anglais venu demander en otages ses deux fils tandis qu’un officier français retient son élan meurtrier ; le projet de fuite des deux fils de Tipou ; enfin, la mort de Tipou, sabre au poing, au pied de la forteresse de Seringapatam assiégée par les Anglais le 4 mai 1799.
Tipou Saëb (1750-1799), sultan de Mysore1, envoie en 1787 une ambassade en France pour solliciter auprès du roi Louis XVI une aide militaire contre les Anglais2. Il a en tête le soutien qu’avaient apporté les Français aux insurgés d’Amérique. En échange, il est prêt à octroyer à la France tous les avantages d’un commerce privilégié avec son empire.

Tipu Sultan, par la Manufacture Hartmann & Fils, Munster, vers 1825, musée de la Toile de Jouy. © Musée de la Toile de Jouy
En Inde, une tapisserie sur les faits d’armes de Louis XIV
À défaut des trois mille soldats espérés, les ambassadeurs reviennent en Inde, en 1788, avec un groupe de trente-deux « artistes et ouvriers », issus du monde de l’armement (fondeurs de canons, de bombes et de boulets, armuriers), des manufactures (tisserands, teinturiers, horlogers) et du milieu scientifique (médecin, chirurgien, jardiniers). Ils rapportent des présents pour Tipou Saëb ainsi que des graines potagères et des arbres fruitiers, confiés pendant le voyage à la garde de deux jardiniers.
Une tapisserie des Gobelins fait partie des cadeaux. Elle est débarquée à Pondichéry de la frégate la Thétis sur cinquante catamarans3, le 15 mai 1789 : « Sur cette tapisserie longue de cinquante pieds
[15,24 m] on avait tissé l’illustration, au temps de la bataille de Louis XIV, de la cavalerie, des fantassins et de l’artillerie avec les chefs correspondants des troupes en rangs, de telle manière qu’on pouvait les reconnaître. » Ce type de tapisserie servait « à décorer les salles des grands châteaux [en France] jusqu’à ne plus voir le mur ; on ne devait pas la placer par terre4. » L’image que véhicule cette tapisserie aux glorieux faits d’armes de Louis XIV a-t-elle pu inspirer la réalisation de l’immense fresque du palais d’été de Seringapatam où Tipou Saëb a fait représenter la bataille de Pollilour remportée par ses troupes contre les Anglais en 1780 ?
En France, une indienne à la gloire de Tipou Saëb
Une autre image, reproduite vers 1825 sur une toile imprimée5, témoigne de la réception en France des circonstances de la mort de Tipou Saëb.
Se lisant comme une bande dessinée, six médaillons illustrent cette tragédie qui s’inspire d’une pièce de théâtre éponyme écrite en 1812 par le dramaturge Étienne de Jouy6, lequel avait eu l’occasion de rencontrer le sultan de Mysore. Ce dernier y est présenté comme une victime, protégeant sa famille et son pays de la domination anglaise. Outre-Manche, ces mêmes événements prirent une tout autre tournure : le sultan y fut décrit comme cruel, vindicatif et vouant une haine féroce aux Anglais7.
Gabriela Lamy,
historienne des jardins à la Direction du patrimoine et des jardins de l’Établissement public de Versailles
1 Actuel État du Karnataka en Inde du Sud.
2 Vincent Bastien, « L’ambassade indienne de Mysore, 1788 », dans Visiteurs de Versailles – Voyageurs, princes, ambassadeurs, 1682-1789, cat. exp., château de Versailles / Gallimard, 2018, p. 200-205.
3 Le premier Occidental à décrire le principe du catamaran est un aventurier anglais qui le découvre en Inde, dans le golfe du Bengale, sur la côte de Coromandel, dans les années 1690.
4 Journal de Virânaicker II (1779-1792), 1992 : je remercie Gobal Gobalakichenane, président du Cercle culturel des Pondichériens, de la communication de ce manuscrit. Cette tapisserie n’a pas été retrouvée à ce jour.
5 Toile imprimée par la Manufacture Hartmann & Fils, à Munster, en Alsace.
6 Je remercie Xavier Petitcol pour la communication de ces informations.
7 Anne Buddle, The Tiger and the Thistle: Tipu Sultan and the Scots in India, Édimbourg, National Galleries of Scotland, 1999.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°26 (avril – septembre 2025).
À CONSULTER
Gabriela Lamy, « Une coopération économique franco-indienne suite à la visite des ambassadeurs de Tipou Saëb à Versailles, en 1788 », sur le site de l’ICOM Costume.