magazine du château de versailles

Le « fils du ciel » rejoint
la demeure du soleil

Au XVIIIe siècle, l’Empire céleste faisait rêver. En témoigne ce biscuit d’une grande rareté, acquis en décembre dernier lors d’une vente
aux enchères, et dont nous avons la chance de connaître
les circonstances lointaines de sa réalisation.

L’Empereur de Chine Qianlong (1711-1799), attribué à Josse-François- Joseph Le Riche, vers 1776-1785, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, V.2024.60. Biscuit de porcelaine dure de Sèvres. H. : 40,5 ; L. : 13,5 ; Pr. : 14 cm. © EPV / Christophe Fouin

Illustrant le goût de la famille royale pour la Chine dans les petits appartements, cette figure en biscuit représentant l’empereur Qianlong (1711-1799) constitue un enrichissement majeur pour les collections du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Acquise par préemption, elle fait partie de l’un des treize exemplaires produits par la Manufacture royale de porcelaine de Sèvres au XVIIIe siècle. L’un des premiers d’entre eux fut livré, en 1776, à Marie-Antoinette, toujours avide de nouveautés. Cette même année, Louis XVI achetait une plaque peinte sur porcelaine figurant aussi Qianlong, qui fut placée dans son cabinet d’angle.

Frontispice gravé par Martinet, représentant le portrait de l’empereur de Chine Qianlong, d’après le dessin de Giuseppe Panzi, publié dans les Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc., des Chinois, par les missionnaires de Pékin, chez Nyon, 1776, Paris, Bibliothèque nationale de France. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF) / Département philosophie, histoire, sciences de l’homme

Un dessin aquarellé peint par un frère jésuite italien
Ces portraits de l’empereur chinois doivent leur existence au secrétaire d’État de Louis XV et Louis XVI, Henri Léonard Bertin (1720-1792). Considéré comme l’un des plus grands sinophiles français, celui-ci entretenait une correspondance avec la communauté jésuite installée à la cour impériale de Pékin. Or, le frère Giuseppe Panzi (1734-1812), depuis 1773, y remplissait la charge de peintre de l’Empereur, à la suite d’un autre artiste italien, le père Giuseppe Castiglione (1688-1766). Il fit parvenir à Bertin un dessin aujourd’hui perdu, mais qui demeure connu grâce à une gravure : celle de Martinet, illustrant le frontispice du premier volume des Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc., des Chinois…, publiés, à partir de 1776, sous le patronage du secrétaire d’État. Ainsi, une lettre adressée à Bertin, le 15 novembre 1773, nous apprend que Qianlong, alors âgé de soixante-deux ans, posa en personne, de face, pour ce dessin1 ; l’Empereur insista pour ne pas paraître plus jeune qu’il n’était et faire représenter ses rides !

 

L’Empereur de Chine Qianlong (1711-1799), par Charles-Eloi Asselin d’après Giuseppe Panzi, fabriqué par la Manufacture de Sèvres, 1776, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin

De la porcelaine dure à la manière chinoise
Grâce aux pères jésuites, et sous l’impulsion de Bertin, on avait cherché très vite en France à percer le secret de fabrication de la porcelaine chinoise constituée de kaolin. Ce défi technique fut relevé par la Manufacture royale de Sèvres, qui commercialisa en 1773 une porcelaine dure à la manière chinoise. Le dessin envoyé à Bertin par le frère Giuseppe Panzi fut mis à la disposition de ses artisans pour la mise en œuvre de représentations de Qianlong.
Le château de Versailles conserve aussi la plaque peinte sur porcelaine acquise par Louis XVI pour 480 livres. L’empereur « de la Chine » y est figuré en buste, coiffé d’un bonnet de fourrure, surmonté d’une grosse perle ronde. Son portrait est entouré d’une bande peinte à l’or, puis ciselée de rehauts de fleurs et, dans la partie basse, d’un oiseau oriental de fantaisie. Quant à l’effigie en pied, transcrite avec beaucoup de finesse en biscuit de porcelaine dure, elle fut sans doute élaborée en 1775, à partir de la terre cuite originale toujours conservée à Sèvres, imaginée par le célèbre sculpteur Louis-Simon Boizot (1743-1809). Son prix de vente fut fixé à 72 livres, et treize furent vendus.

L’Empereur de Chine Qianlong (1711-1799), attribué à Josse-François- Joseph Le Riche, vers 1776-1785, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

Les propriétaires prestigieux de ces biscuits
Durant cette année 1776, outre Marie-Antoinette, les acheteurs furent Madame Adélaïde, tante de Louis XVI, la duchesse de Mazarin et trois amateurs anonymes. L’année suivante, le prince de Croÿ se portait acquéreur d’un « empereur de la Chine » ainsi que d’un « pied pour le porter ». Enfin, en décembre 1777, la comtesse d’Artois achetait à son tour un exemplaire, comme Madame de Durfort et le marchand Grouet. Trois derniers biscuits furent encore cédés entre 1778 et 1779, dont un à l’ambassadeur de Sardaigne.
La duchesse de Mazarin exposait sa statuette sur la commode de sa chambre à coucher, dans son hôtel parisien du quai Malaquais. En 1781, lors de son décès, les experts reconnurent la « figure en biscuit de Sèves [sic] », comme celle d’un « Turc, les bras croisés, vêtu d’une longue robe fourée [sic] ; la tête couverte d’un bonnet de même genre ». En effet, l’identité de cet illustre modèle était tombée assez vite dans l’oubli, ce qui ne permet pas malheureusement de la reconnaître dans les inventaires révolutionnaires. Des cinq biscuits aujourd’hui localisés2, il est ainsi impossible de savoir avec certitude lequel appartenait à qui sous l’Ancien Régime. Mais ceci reste négligeable au regard de la force de présence de ce sujet et de la valeur historique de cette représentation, qui attestent à merveille des relations séculaires entre la Chine et la France.

Vincent Bastien,
collaborateur scientifique au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 L’Europe connaissait déjà des portraits des aïeux de Qianlong, publiés dans des ouvrages jésuites antérieurs.
2 Un exemplaire est conservé au musée des Arts décoratifs, à Paris, et un autre au Museum of Fine Arts, à Boston. Un troisième se trouve dans une collection particulière parisienne tandis que le dernier est, à ce jour, sur le marché de l’art.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°26 (avril – septembre 2025).


À VOIR

L’Empereur de Chine Qianlong (1711-1799), attribué à Josse-François- Joseph Le Riche, dans le circuit de visite libre.

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