magazine du château de versailles

Destination Rambouillet

Les conservateurs de Versailles s’attachent, depuis des années,
à retrouver le mobilier d’origine du château pour en restituer le décor
grâce à des acquisitions et des dépôts. Cette fois-ci, c’est le château
qui a cédé un ensemble exceptionnel « à l’Étrusque ». Celui-ci vient de retourner à l’endroit pour lequel il avait été créé, dans les deux pièces
de la laiterie de Rambouillet.

Conçu pour amener Marie-Antoinette à apprécier la nouvelle résidence de Rambouillet, le mobilier d’acajou de la laiterie, livré le 1er mai 1787, n’aura été finalement vu qu’une seule fois en place par la reine, lors de son passage un mois plus tard. Préservé des ventes révolutionnaires de 1793, il quittait toutefois le décor architectural auquel il était intimement lié pour rejoindre le Muséum central du Louvre. Rien ne laissait présager qu’il pourrait y revenir, deux cent trente ans plus tard.

« Le piétement en X inspiré des sièges curules, les pieds arrière “en sabre” et les dossiers “en crosse” des chaises : autant de nouveautés, associées aux frises de palmettes et de myrtes. »

Chaises « à l’Étrusque » installées dans la laiterie de Rambouillet. © CMN / Benjamin Gavaudo

Une inspiration puisée à Rome
L’ensemble se composait de 4 fauteuils, 10 chaises, 6 tabourets, une grande table circulaire et 4 plus petites, « en forme de guéridon ». Réalisé par Georges Jacob, menuisier préféré de la reine, il est le fruit d’une collaboration avec Hubert Robert qui en donna les dessins. Ses formes dites « à l’Étrusque » trouvent leur source dans le vaste répertoire que le peintre, volontiers archéologue, avait pu constituer lors de son séjour à Rome. Le piétement en X inspiré des sièges curules, les pieds arrière « en sabre » et les dossiers « en crosse » des chaises : autant de nouveautés, associées aux frises de palmettes et de myrtes. Le choix même du sombre acajou et l’absence de garniture textile évoquent le mobilier de bronze antique.

Tabouret en X du mobilier de la laiterie de Marie-Antoinette à Rambouillet, dessiné par Hubert Robert et réalisé par Georges Jacob, 1787, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, dépôt au château de Rambouillet. © EPV / Christophe Fouin

En passant par le Petit Trianon,
le Palais-Royal, les châteaux des Tuileries, de Saint-Cloud et de Pau
En 1810, 2 fauteuils, 6 chaises et 4 tabourets furent envoyés au Petit Trianon pour occuper le salon du Pavillon français. Sous la Restauration, le reste du mobilier attira l’attention du duc d’Orléans, Louis-Philippe, qui en obtint l’usage pour sa résidence du Palais-Royal, à Paris ; son fils Ferdinand-Philippe en distraira l’un des fauteuils pour orner son fameux « salon des antiquités1 », dans son appartement des Tuileries, parmi d’autres meubles historiques provenant du Garde-Meuble de la couronne2. Quant à la table centrale, après avoir figuré au château de Saint-Cloud, puis aux Tuileries, elle fut enfin envoyée, en 1842, au château de Pau, et dotée d’un plateau beaucoup plus vaste pour servir de table du conseil ; elle s’y trouve toujours.

Détour versaillais
Cinq des six chaises placées à Trianon depuis l’Empire furent vendues par les domaines en 1889, intégrant la prestigieuse collection du comte Henry Greffulhe, puis celle de Sir Alfred Beit. Ce dernier les offrit au château de Versailles en 1951. Les pièces installées au Palais-Royal ne réintégrèrent pas le giron du Garde-Meuble après la Révolution de 1848. Elles réapparurent à la vente Hayem, en juin 1932, où le château de Versailles a pu les acheter pour reconstituer cet ensemble dont il ne manque plus, outre les différentes tables, qu’un tabouret.

Sièges « à l’Étrusque » dans la grande salle à manger du Petit Trianon avant leur dépôt à Rambouillet. © EPV / Sébastien Giles

Ouvert depuis 2009 à la visite par le Centre des monuments nationaux, le château de Rambouillet s’inscrit désormais dans la politique de remeublement historique déjà menée par les anciennes résidences royales de Versailles, Fontainebleau et Compiègne. Une série de dépôts entre ces institutions, ces dernières décennies, avait déjà donné des résultats spectaculaires notamment à Versailles. Le dépôt de cet ensemble conçu pour le chef-d’œuvre qu’est la laiterie de Rambouillet, érigé au crépuscule de la monarchie, n’en est pas des moindres.

Bertrand Rondot,
conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

1 Surnom de son salon destiné aux aides de camp.
2 Mathieu Caron, Du palais au musée. Le Garde-Meuble et l’invention du mobilier historique au XIXe siècle, Paris / Dijon, Mobilier national / Éditions Faton, 2021, p. 256.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).


Laiterie de Rambouillet avec le mobilier « à l’Étrusque » tout juste installé. © CMN / Benjamin Gavaudo

À VOIR

La laiterie du domaine de Rambouillet, avec l’espace de médiation ouvert à côté, depuis l’automne 2023, dans le pavillon du Roi, évoquant l’atmosphère qui régnait au sein de la laiterie de la Reine à la veille de la Révolution. Renseignements pratiques.

La laiterie du hameau de la Reine, à Trianon, dans le cadre de la visite guidée « Le Hameau, de Marie-Antoinette à Marie-Louise » (sur réservation)


À LIRE

Antoine Maës, La Laiterie de Marie-Antoinette à Rambouillet. Un temple pastoral pour le plaisir de la reine, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2016.

Renaud Serrette et Gabriel Wick (dir.), Vivre à l’antique de Marie-Antoinette à Napoléon Ier, Paris / Saint-Rémy-en-L’Eau, Centre des Monuments nationaux / Éditions Monelle Hayot, 2021.

Laiterie de Rambouillet avec le mobilier « à l’Étrusque » tout juste installé. © CMN / Benjamin Gavaudo

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