Grâce au maître d’hôtel ordinaire de Louis XIV,
nous savons exactement comment fut réalisé le portrait exceptionnel
qui sera présenté, dans l’exposition Le génie et la majesté,
à portée du public et à hauteur des yeux. Une proximité
à l’image de celle qui s’installa entre le roi et Le Bernin.

Louis XIV, roi de France, par Gian-Lorenzo Bernini dit Le Bernin, 1665, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin
À l’instigation du roi de France, le pape Alexandre VII accepte donc de se séparer de son artiste favori, cédant à la volonté de Louis XIV. Le jeune monarque de vingt-sept ans gouverne par lui-même depuis quatre ans et entend imposer son pouvoir à l’Europe. Celui qu’on appelle en France Le Bernin, ou le Cavalier Bernin depuis qu’il a été fait chevalier de l’ordre du Christ, est considéré comme l’artiste le plus illustre de son temps. Il a alors soixante-six ans, âge considérable pour l’époque. Depuis ses premiers succès, dans les années 1620, il a travaillé au service de cinq papes. Génie absolu, il est sculpteur, mais aussi peintre, décorateur, scénographe, architecte : on voit en lui un nouveau Michel-Ange et, à Rome, il fait triompher ce que les historiens de l’art ont dénommé, de manière assez générique, le style baroque.

Portrait de Giovanni Lorenzo Bernin (1598-1680), par Gaulli Giovanni Battista dit Baciccio, vers 1666, Rome, palais Barberini. © SCALA, Florence, Dist. GrandPalaisRmn / Image Scala
Ainsi, le séjour du Bernin à Paris, du 2 juin au 20 octobre 1665, apparaît-il rétrospectivement comme la rencontre de deux personnalités hors du commun : l’ambitieux monarque et l’immense artiste. Plus encore que les plans pour la Cour carrée du Louvre, à l’origine de ce voyage, c’est autour du buste du roi que va se nouer cette relation, faite d’estime et d’admiration réciproques.
Reçu comme un prince, Le Bernin bénéficie, à Paris, d’un cicérone : Paul Fréart de Chantelou, maître d’hôtel ordinaire du roi. Conscient du caractère exceptionnel de ce séjour, ce grand érudit et italophile convaincu tient un journal qui permet de retracer dans le détail la genèse du buste, ce qui est unique pour la période.
Des dessins et des références antiques
La commande de l’œuvre est officiellement passée par Louis XIV le 20 juin à Saint-Germain-en-Laye, où réside la Cour. D’abord réticent, Le Bernin va se mettre à l’ouvrage avec passion. Dès le lendemain, il est en quête d’un bloc de marbre blanc de Carrare, ce qui n’est pas une mince affaire tant le matériau est rare à Paris.
Dans un premier temps, l’artiste dessine le monarque d’après nature et en mouvement, par exemple lorsqu’il joue à la paume ou qu’il tient son Conseil. Le sculpteur cherche ainsi à capter ce qu’il nomme « l’action », c’est-à-dire la personnalité de Louis XIV. Ces dessins sont malheureusement perdus, tout comme le modèle en terre qu’il façonne en parallèle dans le logement mis à sa disposition, l’hôtel de Frontenac1, au Louvre.

Louis XIV, roi de France, par Gian-Lorenzo Bernini dit Le Bernin, 1665, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin
Le 14 juillet, dans la salle du Conseil du Louvre transformée en atelier, Le Bernin entreprend lui-même le travail sur le marbre qu’a dégrossi son assistant. Durant près d’un mois, il œuvre sans relâche, affirmant ne pas avoir besoin de ses dessins tant la figure du roi est présente à son esprit. Les curieux sont de plus en plus nombreux à venir l’observer et, dans le concert de louanges, quelques voix discordantes se font entendre. Le sculpteur Jean Warin, notamment, trouve que le front du roi est trop « déchargé », car l’artiste a sculpté un « flocon de cheveu ». On réplique en comparant la physionomie royale aux portraits antiques, dotés de « beaux fronts ». Ainsi, outre la ressemblance avec le modèle, la Grèce et Rome sont convoquées pour que le portrait de Louis XIV fasse aussi écho à ce que l’on voit « dans des têtes de héros ». Pour parvenir à cette alliance parfaite, Le Bernin décrète le 30 juillet, au onzième jour de son travail sur le buste, qu’il a « besoin à présent de voir le Roi pour le particulier du visage de Sa Majesté, n’ayant jusqu’ici travaillé qu’au général ».

Portrait en buste de Louis XIV en armure, par Robert Nanteuil, 1666, Paris, Bibliothèque nationale de France. © Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF) / Département estampes et photographie
Un travail « avec tant d’amour »
Entre le 11 août et le 5 octobre 1665, Louis XIV pose à treize reprises dans le palais Mazarin, près du Louvre, où l’atelier a été transféré. Pour reproduire dans le marbre les moindres détails du visage, Le Bernin « s’approchait du Roi et le regardait en face, de côté et d’autre, de bas en haut, et enfin de toutes sortes de manières, et puis se remettait à son marbre ». Ces séances de pose, où Louis XIV doit rester immobile, deviennent un véritable spectacle, suivi parfois par près de quarante courtisans. Enfin, le 5 octobre, en présence du souverain, Le Bernin marque au charbon les pupilles et déclare son buste achevé, affirmant « qu’il y avait travaillé avec tant d’amour qu’il croyait qu’il était le moins mauvais portrait qui fût sorti de ses mains ». Submergé par l’émotion, le maître se met à pleurer tandis que son modèle lui témoigne sa haute considération.
« Ces séances de pose, où Louis XIV doit rester immobile, deviennent un véritable spectacle, suivi parfois par près de quarante courtisans. »
Sans nul doute, Louis XIV eut conscience que ce buste, bien au-delà du simple portrait, proposait une définition nouvelle de la majesté royale. Ainsi, il le garda toujours près de lui, dans des espaces d’honneur et publics, au Louvre, aux Tuileries et enfin à Versailles. L’exposition-dossier qui mettra ce buste à l’honneur au centre de l’appartement de la Dauphine, tout en présentant les protagonistes de la venue du Bernin en France et racontant la genèse de l’œuvre, détaillera l’influence que celle-ci exerça sur le portrait royal.
Lionel Arsac,
conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
1 Hôtel qui se situait au centre de l’actuelle Cour carrée.
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°26 (avril – septembre 2025).
À VOIR

© EPV / Christophe Fouin
Exposition Le génie et la majesté : Louis XIV par Le Bernin
Du 3 juin au 28 septembre
Château de Versailles, Appartement de la Dauphine
Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).
Billets : accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».
COMMISSARIAT
Lionel Arsac,
conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
AUTOUR DE L’EXPOSITION
Visites guidées de l’exposition sur réservation
par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne.
Une programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles ».
À LIRE
Le catalogue de l’exposition
Coédition château de Versailles / éd. Silvana Editoriale
128 pages, 28 €