magazine du château de versailles

Le Bernin vient au roi

Il s’agit bien d’une seule et unique sculpture, mais qui concentre
les superlatifs. Buste du roi le plus puissant d’Europe,
exécuté par l’artiste le plus célèbre de son époque, ce chef-d’œuvre
fait l’objet d’une exposition-dossier à la faveur de travaux dans le salon
de Diane où il trône depuis 1684. Avec, comme premier volet,
le contexte de sa création, mue par la recherche du prestige.

Louis XIV, roi de France, par Gian-Lorenzo Bernini dit Le Bernin, 1665, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
© EPV / Christophe Fouin

Début juin 1665. On rapporte que Colbert, en apprenant l’arrivée prochaine du Bernin à Paris, sauta de joie. Pourquoi une telle manifestation de ses émotions, rare de la part de l’austère intendant des finances de Louis XIV, qui allait bientôt devenir l’omnipotent contrôleur général et qui cumulait depuis peu la charge de surintendant des bâtiments de Sa Majesté ? Les finances du royaume étant presque à l’équilibre, la prépondérance de la France en Europe s’affirmant depuis la prise de pouvoir personnel de Louis XIV en 1661, Colbert pouvait s’investir dans le projet auquel il tenait tout autant que son souverain : la politique du prestige par tous les moyens qu’offraient les lettres, les arts et leurs institutions.

Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), ministre, par Claude Lefebvre, 1666, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © EPV / Christophe Fouin

La Petite Académie, au service d’une renommée
Un conseil avait été créé spécialement à cet effet début 1663 : la Petite Académie, composée de quatre hommes de lettres et de Charles Perrault, par ailleurs commis de Colbert, comme secrétaire. Ceux-ci furent présentés au roi qui leur dit, selon Perrault dans ses Mémoires : « Je vous confie la chose au monde qui m’est la plus précieuse qui est ma gloire… » Les membres de la Petite Académie avaient parfaitement intégré l’objectif de leur mission, comme en témoigne l’un d’entre eux, Jean Chapelain, dans une lettre à Colbert : « Il y a bien, Monsieur, d’autres moyens louables de répandre et de maintenir la gloire de Sa Majesté, desquels même les anciens nous ont laissé d’illustres exemples […] comme sont les pyramides, les colonnes, les statues équestres, les colosses, les arcs triomphaux, les bustes de marbre et de bronze, les basses-tailles, tous monuments historiques…1 » Chapelain aurait pu aussi rappeler les liaisons légendaires entre de grands monarques et d’illustres artistes, comme celles d’Alexandre le Grand avec Lysippe ou Apelle…

Rome au secours du Louvre
Dans la France de Louis XIV, les circonstances n’étaient pas moins favorables. La reprise du chantier du plus prestigieux des châteaux royaux, le Louvre, était à l’ordre du jour. Sis au cœur de la capitale, Colbert y voyait la seule résidence principale digne du prince. Dans une lettre adressée au roi, il insiste : « Votre Majesté retourne de Versailles. […] Cette maison regarde bien davantage le plaisir et le divertissement de Votre Majesté que sa gloire. […] elle a négligé le Louvre, qui est assurément le plus superbe palais qu’il y ait au monde et le plus digne de la grandeur de Votre Majesté. […] Votre Majesté sait qu’au défaut des actions éclatantes de la guerre, rien ne marque davantage la grandeur et l’esprit des princes que les bâtiments…2 »

« Parmi ceux-ci, Gian Lorenzo Bernini (1598-1680) dit Le Bernin,
sans contredit le plus célèbre artiste en Europe à l’époque,
était alors au sommet de sa gloire.
»

Mécontent des travaux menés au Louvre, Colbert se tourna naturellement vers Rome, capitale toujours incontestée des arts au XVIIe siècle, pour une consultation des architectes qui y étaient les plus renommés. Parmi ceux-ci, Gian Lorenzo Bernini (1598-1680) dit Le Bernin, sans contredit le plus célèbre artiste en Europe à l’époque, était alors au sommet de sa gloire. Il représentait, aux yeux de Colbert, un gage de réussite du projet ; c’était également renouer avec les légendes antiques de l’union du plus grand des monarques et du plus grand des artistes.

Portrait de Giovanni Lorenzo Bernin (1598-1680), par Gaulli Giovanni Battista dit Baciccio, vers 1666, Rome, palais Barberini. © SCALA, Florence, Dist. GrandPalaisRmn / Image Scala

Un séjour obligé
Les propositions du Bernin pour le Louvre plurent à Paris, surtout au roi, qui y trouva ce qu’il recherchait : un monument symbolique de sa « gloire ». La complexité de la réalisation, cependant, fit rapidement comprendre à Colbert que la présence du Bernin sur le chantier était indispensable. Ce qui posait problème : comment l’attirer jusque-là alors que l’artiste avait toujours décliné de telles invitations, sous Richelieu déjà, et sous Mazarin surtout ? Quand Colbert et le roi lui-même envoyèrent leurs invitations au Bernin, et les demandes d’autorisation nécessaires au pape Alexandre VII, celui-ci conservait « assez de mauvaise volonté pour les Français3 », comme le rapporte Louis XIV dans ses Mémoires. Le premier architecte de Sa Sainteté était, par ailleurs, déjà engagé dans des réalisations grandioses à Saint-Pierre : la Cathedra Petri, la colonnade…

Projet du Cavalier Bernin pour la principale façade du Louvre du côté de Saint-Germain l’Auxerrois, 1665, gravé par Jean Marot et publié dans l’Architecture françoise de Jacques-François Blondel, t.4, liv. 6, pl. VIII, Paris, chez Charles-Antoine Jombert, 1752-1756.

Le contexte politique joua néanmoins en leur faveur, le Saint-Siège ayant subi une humiliante défaite suite à la complexe affaire dite de la « garde corse », conclue par le traité de Pise, signé le 12 février 1664 : « Dans ce traité, écrit Domenico Bernini dans la Vie de son père, il est convenu par un article secret que le pape devait accorder la permission au Cavalier Bernin de demeurer pendant trois mois au service de Sa Majesté en France…4 » Pour l’artiste, âgé de soixante-sept ans, ainsi contraint, ce voyage en France présentait tout sauf une perspective séduisante. Pressé de céder par tout l’appareil ecclésiastique, par le Père Oliva, général de l’ordre des jésuites et son ami intime, et par le pape lui-même, Le Bernin ne put refuser.
Si les augures n’étaient pas bons, il faut convenir d’une chose : l’accueil que la France réserva au Cavalier fut digne d’un prince, jamais artiste ne fut reçu avec autant de magnificence, allant bien au-delà de ce que l’histoire connaissait jusque-là. La suite des événements, pendant le séjour du Bernin à Paris qui s’acheva en octobre 1665, devait connaître maints déboires… Mais il s’agit là d’une autre histoire.

Milovan Stanic,
enseignant-chercheur honoraire, université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

1 « Lettre du 11 novembre 1662 », dans Pierre Clément (éd.), Lettres, instructions et mémoires de Colbert, t. V, Paris, Imprimerie impériale, 1868, p. 589.
2 Pierre Clément, op. cit., p. 268-270.
3 Jean Longnon, Mémoires de Louis IV, Paris, Tallandier, 1978, p. 381.
4 Domenico Bernini, Vita del Cavalier Gio.Lorenzo Bernino, Rome, a spese di Rocco Bernabo, 1713, p. 116.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°26 (avril – septembre 2025).


À VOIR

© EPV / Christophe Fouin

Exposition Le génie et la majesté : Louis XIV par Le Bernin
Du 3 juin au 28 septembre
Château de Versailles, Appartement de la Dauphine

Horaires : tous les jours, sauf le lundi, de 9 h à 18 h 30 (dernière admission à 18 h).

Billets : accessible avec le billet Passeport, le billet Château, ainsi que pour les bénéficiaires de la gratuité.
Réservation horaire obligatoire.
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles ».


COMMISSARIAT

Lionel Arsac,
conservateur du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon


AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visites guidées de l’exposition sur réservation
par téléphone au 01 30 83 78 00 ou en ligne.
Une programmation spécifique pour les abonnés « 1 an à Versailles ».


À LIRE

Le catalogue de l’exposition
Coédition château de Versailles / éd. Silvana Editoriale
128 pages, 28 €

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