Le biais des offices et des charges permet d’identifier et de suivre
un grand nombre des personnes qui s’affairaient auprès du roi au château.
De cette véritable ruche, le Centre de recherche du château de Versailles a tiré une base de données évolutive intitulée Prosocour,
qui vient d’être mise en ligne. De 1661 à 1792, depuis Louis XIV jusqu’à Louis XVI, c’est grâce aux pouvoirs du numérique que s’esquisse
l’un des grands théâtres des interactions humaines.
Prosocour tire son nom de la prosopographie, une discipline qui étudie collectivement les biographies et les parcours professionnels pour y trouver des caractères communs. Selon ces principes et en commençant par les individus occupant des charges auprès du roi, cette base de données fait l’inventaire des emplois au service de la monarchie et de tous ceux, avec leur biographie, qui les ont occupés dans le temps, ce qui permet d’en déduire certaines des relations qui les unissaient.
Un microcosme complexe
Le roi et sa famille étaient servis par des Maisons, c’est-à-dire des ensembles de domestiques religieux, civils ou militaires. À l’origine, ces serviteurs étaient sélectionnés selon le « bon discernement » du souverain. Cependant, la monarchie a progressivement commencé à vendre la plupart de ces emplois, connus sous le nom d’« offices » ou de « charges », les transformant ainsi en biens monnayables et transmissibles.
Outre ces serviteurs, la Cour était composée des membres du gouvernement et des personnels de l’administration centrale, personnages auxquels il faudrait, pour être complet, ajouter l’ensemble des individus venus pour rendre des services ou obtenir une faveur. Se côtoyaient ainsi, dans ce véritable microcosme, secrétaires d’État, premiers valets de chambre, grand aumônier, pâtissier de Cuisine-bouche, capitaine des gardes du corps, architectes ou peintres.
Par sa capacité à exposer et à interroger les données les concernant, Prosocour met en lumière les liens entre tous ces individus et révèle la complexité de ce système. En dévoilant comment les réseaux et les alliances influençaient les carrières et les destins des courtisans, elle permet d’explorer en profondeur les mécanismes sociaux et politiques de la Cour.
Deux modes d’entrée principaux : les « individus » et les « charges »
Toute personne croisée dans les dépouillements de documents historiques est donc inventoriée, ainsi que ses relations familiales ou sociales. Le but est de regrouper un maximum de personnes gravitant plus ou moins près du roi et de sa famille. Les notices individuelles réunissent des informations biographiques complètes, incluant les lieux de naissance, mariage, décès et sépulture, ainsi que les charges détenues, les liens interpersonnels et les groupes d’appartenance. Exemple : la fiche d’Anne-Madeleine-Françoise d’Auxy de Monceaux d’Hanvoile, demoiselle d’Auxy, duchesse puis duchesse douairière de Fleury, née le 19 octobre 1721 et décédée le 17 mai 1802, mariée le 6 juin 1736 et dame du palais de la reine Marie Leszczynska en surnuméraire de 1739 à 1740, puis comme titulaire de 1740 à 1763.
Les fiches de charges, quant à elles, décrivent la place de chaque emploi dans les institutions de l’Ancien Régime, son fonctionnement et ses aspects financiers, rémunération et avantages associés. Puis elles en donnent la liste des détenteurs en respectant les successions, le nombre de charges par emploi s’exerçant simultanément (d’une à plusieurs dizaines) et les services, c’est-à-dire si le serviteur officiait trois mois (en quartier), six mois (par semestre) ou annuellement. Ainsi la fiche des capitaines des gardes du corps du Roi comporte-t-elle trente-huit détenteurs.
Recherches croisées très sophistiquées
À partir de ces données, Prosocour permet des recherches croisées sophistiquées, répondant à des questions variées : quelles charges ont été occupées par un individu ou qui ont été les titulaires d’une charge à une période donnée ? Quelles charges dépendaient de tel département/service/maison/chef d’office/grand officier de la Couronne ou de la Maison du roi ? Qui avait un logement au château ou quelles charges en donnaient le droit ? Qui étaient les parents, parrains, témoins de mariage de tel individu ? etc. Ces fonctionnalités font de Prosocour un outil de recherche puissant, capable de fournir des réponses précises, et de former des listes d’individus ou de charges pour des études circonstanciées de groupes socioprofessionnels.
Prosocour propose aussi de visualiser les informations biographiques sous forme de chronologies ou de cartes interactives qui peuvent mettre en évidence, par exemple, des profils ancrés en province. Dès qu’un individu se trouve relié avec un autre dans la base de données, il est associé à un graphe qui définit un réseau. On y trouve tous les types de liens – familiaux, religieux, professionnels, politiques, etc. – qui peuvent s’étendre à travers plusieurs niveaux successifs. Ainsi celui d’Albert-François Perrin (ca. 1687-1759), successivement et/ou cumulativement valet de chambre du Roi par quartier (1707-ca. 1716), portemanteau du Roi (1712-1735), sous-gouverneur (1715-1745) puis gouverneur (1744-1759) des pages de la Grande Écurie ainsi que leur précepteur (1735-1759).
Ces outils graphiques facilitent la compréhension de l’arborescence des maisons royales et permettent, entre autres, de capter des mécanismes d’ascension sociale : des données particulièrement complexes et insaisissables que seules les capacités de l’informatique peuvent mettre à notre portée.
Benjamin Ringot,
coordinateur de la recherche au Centre de recherche du château de Versailles
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°25 (octobre 2024 – mars 2025).
Un projet innovant et totalement ouvert
Lancé dans le cadre du programme de recherche « Réseaux et sociabilité à la cour de France, XVIIe-XVIIIe siècles », initié en 2017 au CRCV1, Prosocour doit son développement à la société MyScienceWork (MSW) qui a su créer une plateforme de navigation et d’analyse sur mesure. Mettant à disposition du public des données librement accessibles et exploitables (dans la limite d’une utilisation non commerciale), la base s’inscrit dans le mouvement de la science ouverte. Hébergée sur la TGIR (Très grandes infrastructures de recherche) Huma-Num, qui favorise le partage des données publiques en sciences humaines et sociales, Prosocour est pleinement en accord avec les principes « FAIR » : Faciles à trouver, Accessibles, Interopérables et Réutilisables. Prosocour, en offrant de nouveaux moyens d’analyse de la cour de France sous l’Ancien Régime, illustre ainsi comment les humanités numériques peuvent amplement enrichir la recherche historique en facilitant l’accès à un très grand nombre de données.
1 Plus de détails sur le site du Centre de recherche du château de Versailles
Prosocour en chiffres
À ce jour, Prosocour présente en ligne les fiches des individus ayant eu une charge dans la Maison du roi de Louis XIV à Louis XVI, ainsi qu’au sein de la Maison de la reine Marie Leszczynska.
La base recense plus de 26 280 individus, près de 2 420 charges, plus de 8 960 liens interpersonnels et plus de 1 200 lieux. Plus de 720 individus sont reliés à des référentiels interopérables et plus de 640 notices comprennent des sources iconographiques.