Grâce au mécénat de Dior, la restauration de la maison de la Reine
est en cours. Après dix-huit mois de travaux, les visiteurs entreront
pour la première fois dans un bâtiment dont la façade ostensiblement champêtre ménageait à l’époque la surprise d’un décor luxueux.

Vue de la Maison de la Reine au Hameau du Petit Trianon, par John-Claude Nattes, vers 1802.
© Château de Versailles / Jean-Marc Manaï

Plan général des jardins français et champêtre du Petit Trianon, avec les masses des bâtiments (entre 1783 et 1786), attribué à Richard Mique (1728-1794). © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés
9 heures du matin, limite nord du Parc. Des coureurs en tenue de jogging se croisent dans l’allée du Rendez-Vous. Le hameau de la Reine est proche. Dans l’air ensoleillé, le chant d’un coq. On sursaute presque. Une fois franchie une porte à auvent, on tombe nez à nez avec des cochons. On pourrait se croire un matin de 1786, à l’orée du faux village normand que l’architecte Richard Mique vient d’achever pour Marie-Antoinette. Une version actualisée de ces fantaisies rurales initiées à Chantilly dix ans plus tôt. Pour atteindre le centre de ce petit univers, il faut sinuer dans des allées ponctuées de maisonnettes à colombage et franchir un pont de poupée, séparation symbolique entre les terrains voués au travail paysan et le havre de délassement de la Reine. Placée hors de portée des odeurs de la Ferme, au bord d’un lac qui rappelle les rêveries d’un Jean-Jacques Rousseau, apparaît une construction tarabiscotée, dont on ne sait trop où se trouve l’entrée.
Association de deux maisonnettes à étage, où la plus massive dialogue avec sa voisine par une galerie de bois montée sur des arcades en pierre. À droite, la maison de la Reine (qui donne son nom à l’ensemble), à gauche, la maison du Billard. À une dizaine de mètres en arrière, les murs du Réchauffoir où se préparaient les repas. La Maison est la plus vaste des 12 fabriques que comptait le Hameau. Avec le Boudoir, le Moulin et la laiterie de Propreté, elle occupe la zone hors-protocole destinée à la souveraine, sa famille, ses amis.

La Maison de la Reine avant sa restauration. © Château de Versailles / Christian Milet
En dépit de leur apparence détendue et de leurs extérieurs grimés en bois pourri ou crépi lézardé, ces édifices conservaient les attributs d’une résidence royale. « Un palais déguisé en village », diagnostique Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques. La Maison mère et ses chaumières – meublées avec luxe – ne sont-elles pas la transposition éclatée d’un château ?

Vue du Hameau du Petit Trianon, le colombier, par John-Claude Nattes, vers 1802. © RMN-GP (Château de Versailles) / Franck Raux
« Salle à manger », « salle de billard », « bibliothèque », « antichambre », « boudoir », « réchauffoir »… une toponymie qui se retrouve mot pour mot au château du Petit Trianon. Mais on reste ici dans un lieu de détente, qui n’accueillait pas de fêtes officielles et où Marie-Antoinette n’a vraisemblablement jamais dormi. Certes la Ferme fonctionne « pour de vrai ». Animaux à poils et à plumes, récoltes de légumes, de fruits… poissons dans le lac. Le jeune Dauphin vient y prendre de petites leçons d’agronomie. Mais le fermier Valy Bussard ne se soucie guère de rentabilité. Le plus important n’est-il pas que les champs qu’il laboure aient été disposés à flanc de coteau pour être vus commodément depuis la maison de la Reine ?
Face à la cheminée du Réchauffoir, un agent de surveillance de Trianon, s’étonne :
« Ça me rappelle la toile de décor de ‹ l’intérieur rustique › au Petit Théâtre de la Reine. » L’esthétique de cette cuisine partage en effet les mêmes sources d’inspiration que les décors de la scène privée de Trianon où Marie-Antoinette aimait apparaître dans des « paysanneries » à la mode ; mais après 1785 elle se déplace avec sa petite bande vers le Hameau. Plutôt que de jouer les paysans dans un décor de toile, on veut côtoyer de vrais fermiers. Le rustique est tendance. La nature est bonne. Les sentiments nobles peuvent – aussi – éclore dans le cœur des gens simples. La Maison devient le centre d’un parc d’attractions où plane la physiocratie d’un François Quesnay, mêlé à l’ambiance des tableaux villageois d’un Greuze. On y rencontre la jeune trentenaire en chapeau de paille et robe de mousseline, telle qu’Élisabeth Vigée-Le Brun la montre dans ce portrait dont le négligé fit scandale au Salon de 1783.
« Le rustique est tendance. La nature est bonne. Les sentiments nobles peuvent – aussi – éclore dans le cœur des gens simples. »
Ce tropisme rural qui, depuis Catherine de Médicis à Fontainebleau et L’Astrée, travaille la société française, se maintient curieusement après 1789. « Tandis que la tragédie rougissait les rues, la bergerie florissait au théâtre », résume Chateaubriand. C’est d’ailleurs la Convention qui en 1795 sauve le domaine de la vente en le décrétant utile « à l’agriculture et aux arts ». Mais les remous de l’Histoire n’ont pas permis que ce vœu de préservation se réalise. Aujourd’hui, la fausse vétusté des anciens murs extérieurs semble avoir contaminé réellement toute la demeure. Du précieux ameublement signé Riesener ou Georges Jacob, on ne connaît qu’une maigre vingtaine de rescapés des ventes de 1793, conservés à Versailles ou aux États-Unis. Heureusement, Napoléon Ier a eu la bonne idée en 1810 de remettre en état ce qu’il appelait négligemment les « petites maisons de rendez-vous » (non sans détruire 3 bâtiments trop délabrés). Il offre le Petit Trianon et le Hameau à sa seconde épouse, Marie-Louise, petite-nièce de Marie-Antoinette qui, vingt ans après le départ de sa parente, se promène dans le domaine, le temps de quelques fêtes d’été et s’emploie à le faire revivre.

Le moulin du hameau du Petit Trianon, atelier de Charles-Jean Guérard, 1810-1850, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN-GP (Château de Versailles) / Gérard Blot
Et là, les inventaires et les meubles ne manquent pas. De nouveau, les décors peints s’harmoniseront en couleurs café au lait, gris perle, jonquille et orange clair… Sous la direction de Jérémie Benoît, conservateur en chef, des tentures de satin blanc ou soie jaune à arabesques vont embellir les murs. Les fenêtres s’habilleront de rideaux tissés d’après les documents d’époque. De quoi accueillir des meubles en platane, amarante, citronnier pour lesquels Jacob-Desmalter, père du style Empire, fit preuve d’une « inventivité nouvelle ».

L’une des 24 chaises de François-Honoré-Georges Jacob, livrées par François-Louis-Castelnaux Darrac en juillet 1810 pour la salle à manger de la maison du Seigneur au Petit Trianon, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin
Le lustre « de style ancien » de 1810 illuminera le salon de l’étage et le rez-de-chaussée offrira l’aspect d’une vraie salle à manger, avec ses 24 chaises en acajou couvertes de maroquin vert, livrées par Darrac. Mais, avant ce riche remeublement, des travaux décisifs s’imposent. Plus de quatre-vingts ans ont passé depuis les restaurations d’ensemble de Patrice Bonnet en 1932-33 financées par la donation Rockefeller (critiquées en leur temps par Pierre de Nolhac). Aujourd’hui le « manoir » est en péril, rongé par l’humidité… L’une des interventions rétablira le niveau de sol originel en décaissant de 25 cm les abords et reprofilera les terrains adjacents pour dériver le ruissellement de la pluie. L’arcature centrale sera consolidée. L’escalier hélicoïdal extérieur sera restitué dans toute sa fantaisie avec, en son centre, un peuplier d’Italie identique à celui de 1786.
On recomposera les masses végétales de Mique. Sols et murs intérieurs retrouveront leur état Premier Empire. Les réseaux pour le chauffage, la ventilation et la sécurité innerveront le bâtiment. Grâce à cette grande campagne de travaux, la maison de la Reine revivra dans son aspect XVIIIe, complété par les ajouts de Napoléon et les modifications de Louis-Philippe. Quittant la poésie du délabrement si chère au Versailles de Barrès, l’édifice majeur du Hameau deviendra un lieu « d’actualité » où les regards contemporains interrogeront, avec profit, les projets de vie successifs qui s’y incarnent. L’âme d’un vrai musée y naîtra.
François Appas
Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°7 (avril – septembre 2015).
À VOIR
Si les intérieurs des fabriques sont fermés au public, l’extérieur du Hameau et de sa ferme est accessible aux visiteurs.
Accès par le Petit Trianon, maison du Suisse ou par le hameau de la Reine
Horaires : 12h-19h30, évacuation des jardins à partir de 19h
Billets : passeport et billet châteaux de Trianon
Gratuit et illimité avec la carte « 1 an à Versailles »