magazine du château de versailles

Gounod :
Nuit resplendissante
à la Grande Boutique

À l’occasion de la représentation le 29 janvier à Versailles de Cinq-Mars
de Charles Gounod, d’après une pièce d’Alfred de Vigny, retour sur
l’opéra à la française au XIXe siècle : du chic, du bluff et du lyrisme
pour des opéras « mitrés », un goût extravagant pour l’or et les fêtes carillonnées… Mais, se demande notre critique musical,
est-ce vraiment cela, le charme de Gounod ? Non, assurément.

Charles Gounod, Etienne Carjat (1828-1906). © Paris, Bibliothèque Nationale de France / Gallica / BnF

Par quoi se distinguait l’opéra à la française, celui qui aux années 1830 a fait de Paris le nombril lyrique du monde, attirant Rossini (qui y prospérera), Wagner (qui y crèvera) et durablement Meyerbeer (qui y régnera) ? Pas par la musique. Dans le grand genre l’Allemagne avec Weber et Marschner faisait mieux ; ni par les voix, elles ont surtout l’Italie pour berceau, mais émigrent, il est vrai, où on les paye le mieux. Et Paris paye bien. La fortune de la salle dite des « Italiens » le montre assez, où Malibran et Pasta, Grisi et Sontag étaient reines (cantatrices de l’époque, ndlr). Mais pour la Juive, succès sans doute le plus légitimement parisien des années 30, français à 100% à la fois par son compositeur, Halévy, et ses chanteurs stars, Adolphe Nourrit, Cornélie Falcon, ce qu’on paya surtout c’est l’or : celui des cortèges, celui des armures, celui des costumes. Coûter son poids d’or, en jeter plein les yeux. La formule est onéreuse, mais sûre, et exclusivement (durablement) parisienne. C’est la mise en scène, la montre en scène qui fera tous les triomphes de cette époque-là.

« La formule est onéreuse, mais sûre, et exclusivement (durablement) parisienne. C’est la mise en scène, la montre en scène qui fera tous les triomphes de cette époque-là. »

Les titres parlent : d’Auber, la Muette de Portici et le Bal masqué ; de Rossini, Moïse et Pharaon, le Siège de Corinthe ; de Meyerbeer enfin, des Huguenots avec leurs baigneuses royales de Chenonceau, sa Bénédiction des Poignards et sa Saint Barthélémy jusqu’au Prophète avec sa Cathédrale en feu et l’Africaine avec son naufrage en scène, tout sera décor(s) et décorum ; défilés, figuration, poudre (d’or) aux yeux du spectateur, par là même détourné de voir les tunnels et longueurs de l’action, qu’on lui peuple de si grands spectacles. Si possible sur fond d’Histoire. Pourquoi ? Mettre en scène des Rois, des Preux, des Héros permet plus de munificence que ne permettraient des banquiers, ces banquiers fussent-ils Nucingen (gendre du Père Goriot dans La Comédie humaine de Balzac, ndlr). Le ton littéraire de l’époque s’y prêtait d’ailleurs. Faute de savoir proprement écrire l’Histoire, on l’illustrait ; l’imageait ; à ce jeu là on a pu se dire que Shakespeare (que la France commence seulement à entendre) est surtout librettiste : en couleur locale, escapisme et faste, Otello, Roméo valent bien Kenilworth et les Puritains du (quand même) plus modeste Walter Scott, best-seller, inspirateur, maître ès évasion pour toute cette génération romantique. Européenne. « Opéras mitrés » dira, non sans un rien d’envie persifleuse devant tout ce pactole, l’industrieux et fielleux Blaze de Bury (critique littéraire, artistique et musical,
1813-1888, ndlr
) qui nous en a tant dit de l’opéra de son temps.

Carton 47. Étude du costume de Phaon pour la Sapho de Gounod. Gustave Moreau (1826-1898). © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda

Pour cela comme pour le reste, notre Gounod n’obéissait pas au modèle (ni Berlioz d’ailleurs, symphoniste d’abord, qui aimait ce qui est grand, Dieu sait, mais n’a jamais pris l’or pour signe du grand). Gounod était un musicien, mélodiste et coloriste (instrumental) à l’allemande, dont Mendelssohn rencontré à Rome fut le décisif mentor ; de goût mystique un peu, bourgeois extrêmement et sentimental en tout cas ; d’instinct il recherchait l’approche, la nuance intimistes, et les trouvait. Si sa première Sapho d’opéra crut devoir tenir si haut sa lyre, c’est parce que madame Viardot (Pauline Viardot, sœur de la Malibran, mezzo-soprano, admirée par le monde entier, ndlr) la chanterait, avec du décorum autour. Mais qu’on regarde mieux Faust, son unique et fabuleux triomphe. Avec un vrai génie, intuitif (mais qu’on jurerait commercial), d’attraper le ton de ce qui va (quoique nouveau) plaire (et Dieu sait que ça a plu, mondialement, et à juste titre), Faust a surtout eu le talent d’édulcorer Goethe jusqu’à faire de Marguerite, de son duo d’amour, de son déchirant IVe acte, le foyer dramatique et vocal ardent de l’ouvrage – le reste, Faust savant, le matin de Pâques, le pacte, le bon Diable surtout n’étant que vignettes. Rétablissez l’air de la Chambre, voilà Marguerite protagoniste : seule stature en cet ouvrage. L’intime, l’effusion, le cœur féminin réussissaient à Gounod ; sa Juliette (hors fastes de Vérone), sa Mireille (du terroir, Dieu sait) seront célestes. Il a réussi l’exquise pochade d’un Médecin malgré lui, l’idylle d’un Philémon et Baucis. Le succès planétaire de Faust nous trompe, deux titres subséquents aussi, Nonne sanglante et Reine de Saba, qui pourraient être d’un Meyerbeer. Il n’était pas né pour continuer cela. Mais pour faire se plaindre les cœurs, doucement, dans le frémissement de la nuit.

Rien dans son Cinq-Mars ne porte le ton de Vigny, si essentiellement haut tenu, châtié pour ne pas dire gourmé (un Chatterton, tout premier essai lyrique de Leoncavallo, moins encore). Gounod voudrait bien s’ajuster à la formule, lyrisme sur fond d’Histoire, que Verdi a très brillamment reprise avec Don Carlos, création de la « Grande Boutique » (surnom que Verdi avait donné à l’Opéra de Paris, exaspéré par les lourdeurs de l’institution, ndlr), rappelons-le. Ici aussi on est à la Cour, des personnes royales ne sont pas loin, qui permettraient de la poudre d’or sur les murs, une autre trempe de métal dans les voix. Gounod n’en peut mais. Il ne s’inventera pas cette fibre-là. Ni dans Polyeucte, l’héroïsme noble, le cothurne de « à la Corneille » (Polyeucte est un autre opéra de Gounod inspiré d’une pièce de Corneille, ndlr).

Portrait d’Henri Coiffier-Ruzé d’Effiat, marquis de Cinq-Mars, grand écuyer de France [détail], par Joseph Léon de Lestang-Parade (1810-1887). © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés

L’élégie, le charme lui vont mieux. L’air de Marie de Gonzague, « Nuit resplendissante » (un vieux fou de la voix vous le dit), est à peu près ce qu’il y a de mieux modelé, mieux modulé, plus touchant, discret, divin dans l’effusion lyrique française. Mais d’urgence dramatique, de situation, point, ni même peut-être de chair, de personnage en tout cas. Il ne manquera d’ailleurs pas de comédie (ou vaudeville) autour de ce mariage malgré soi, de ces amours contrariées. C’est comme si on glissait vers la parodie du Roi malgré lui, mais avec Chabrier ça flashe et scintillera autrement (opéra-comique dans lequel Henri III refuse de régner sur la Pologne, ndlr). Un autre versant du lyrisme français est là, opéra comique ou opérette comme on voudra, où l’Histoire certes est en scène comme chez Chabrier, mais pour le meilleur profit de la petite histoire… Massenet pointe aussi. Le Chevalier type chez lui, bien vite, ce n’est plus le Cid, c’est Des Grieux !! – Pour situer en scène Marion Delorme, qu’on lise donc le merveilleux Sphinx rouge de Dumas. Il nous la montre, intriguant/ coquetant avec Richelieu – et la conjuration aussi, et les salons littéraires Scudéry. Avant de nous livrer le mot de l’énigme, ce mot de la fin que l’Histoire, la vraie, ne livre jamais…

André Tubeuf

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°6 (octobre 2014 – mars 2015).


Cinq-Mars, par Alfred de Vigny, Gustaf Wappers (1803-1874).
© RMN-Grand Palais (musée Magnin) / Michel Urtado

Cinq-mars ou Une conjuration sous Louis XIII
Le roman d’Alfred de Vigny fait le récit du complot que le jeune marquis d’Effiat, dit « Cinq-Mars », ourdit contre Richelieu, ministre de Louis XIII, en 1642. C’est pourtant le cardinal qui l’avait introduit à la Cour et lui permit de devenir le favori du roi. Le Marquis fut particulièrement irrité par l’obstacle que Richelieu mit à ses prétentions de mariage avec la princesse Marie de Gonzague, doutant qu’elle « eût tellement oublié sa naissance qu’elle voulût s’abaisser à si petit compagnon ». Après avoir négocié avec l’Espagne, en guerre avec la France, Cinq-Mars et ses complices obtiennent un soutien armé. Mais une missive de celui-ci est interceptée par la police de Richelieu. Cinq-Mars et son ami intime, François-Auguste de Thou, Conseiller au parlement, sont condamnés à mort pour crime de lèse-majesté, et décapités le 12 septembre 1642 à Lyon, sur la place des Terreaux.


À VOIR

Charles Gounod, Cinq-mars
Le 29 janvier 20h
Opéra royal

Distribution :
Charles Castronovo, Marquis de Cinq-Mars
Véronique Gens, Princesse Marie de Gonzague
Melody Louledjian, Marion Delorme
Marie Lenormand, Ninon de L’Enclos, Un Berger
Tassis Christoyannis, Conseiller de Thou
Andrew Foster-Williams, Père Joseph
André Heyboer, Vicomte de Fontrailles
Jacques-Greg Belobo, Le Roi / Le Chancelier

Chœur de la Radio Bavaroise
Orchestre de la Radio de Munich

Direction : Ulf Schirmer

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