magazine du château de versailles

Douze griffures de vers

Douze poètes ont relevé le défi que leur proposaient Catherine Pégard, Présidente du château de Versailles et Jean-Pierre Siméon,
directeur artistique du Printemps des poètes :
écrire sur ce lieu qui n’a cessé d’inspirer depuis Louis XIV.
J.-P. Siméon revient sur la genèse du recueil collectif Poètes en majesté, paru au mois de mars 2013.

Portrait de Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des Poètes. © photographie Wing Tat SHEK / Printemps des poètes

Selon vous, quelle est la place du poète dans le monde d’aujourd’hui ?
J.-P. Siméon : À la crise morale et affective que nous vivons, le poète répond par une salve d’avenir. L’ambition du Printemps des poètes, depuis quinze ans, est de réaffirmer la présence de la poésie dans la cité, d’en faire un fait politique : travailler avec les communes comme « Villes et villages en poésie », les associations, organiser des concours ou des festivals ou encore, entreprendre de faire publier des poètes d’aujourd’hui, comme cette anthologie dédiée à Versailles.

Comment est venue l’idée de faire écrire des poètes contemporains sur Versailles ?
Versailles est un lieu magnifique, d’art et d’histoire, une œuvre d’art à part entière. L’idée était que des poètes de toutes sortes écrivent sur le Château, parlent de leur expérience, se souviennent. Le projet était de faire revivre le patrimoine à travers le regard
d’auteurs contemporains français ou étrangers.

…Tout en acceptant que ces auteurs ne soient pas forcément des « amoureux » de Versailles ?
Oui bien sûr ! Il y a un texte de Tahar Ben Jelloun un peu caustique (lire ci-dessous). Pour être sincère, il y a eu des poètes que j’ai sollicités et qui m’ont répondu « non, je suis trop sans-culotte pour écrire sur Versailles ». Mais nous n’avions pas demandé un éloge. Soit on dit que c’est un patrimoine légué par l’histoire, soit c’est lié à une histoire personnelle – c’est vrai notamment de Zoé Valdès ou Denis Podalydès. Versailles est un lieu symbolique fort. Donc forcément, un écrivain, un artiste, un poète a quelque chose à en dire. Ça peut être en réfraction, en empathie. Peu importe. C’est tellement immense Versailles, les jardins, les endroits où l’on peut se perdre. Il y a les histoires mystérieuses, il y a le grand luxe, le grand lustre. Cela fait un très beau livre parce que chacun s’est senti libre de penser ce qu’il a à penser de Versailles. La poésie, c’est la parole libre. Cela permet de célébrer, d’admirer, de refuser, pourquoi pas de rire ? Je trouvais bien que les poètes investissent ce lieu. En plus, ce lieu, il faut le dire, a été fréquenté par tellement et tellement de poètes.

Aviez-vous des critères pour choisir les douze « poètes en majesté » ?
Je voulais quelque chose de prestigieux avec des poètes des horizons les plus divers. Je voulais aussi beaucoup de poètes étrangers. Certains avaient des affinités évidentes, d’autres moins. Ça m’intéressait de connaître leur imaginaire par rapport au monument qu’est Versailles. Les poètes étrangers ont tous accepté, ce sont les français qui ont été les plus réticents.

Vous êtes vous-même un homme de théâtre et un poète. Y-a-t-il un lieu, une histoire que vous aimez particulièrement à Versailles ?
La Bibliothèque (ndlr : la galerie des affaires étrangères, lire « Le Labyrinthe parlant », en ligne), pas très loin du château. Ces noms de salles extraordinaires… On y avait fait des lectures à l’occasion du Printemps des poètes avec François Cheng. Je suis un homme du livre. Les noms des salles sonnaient comme des poèmes en soi. C’est un lieu imaginaire pour moi, un peu à la Borges.

Vue extérieure du pavillon Gabriel et de la Chapelle royale. © EPV / Thomas Garnier

Et cette architecture du Château, si imposante, vous évoque-t-elle aussi un sentiment particulier ?
Je peux me servir de mon Smartphone mais j’adore les vieilles pierres. Donc évidemment Versailles… Rien ne remplacera pour moi l’architecture de pierre. La pierre, c’est le premier livre. D’abord on a commencé à taper dessus pour écrire. C’est peut-être la pierre qui sera le livre éternel, qui porte la trace des hommes, volontaire ou involontaire. La pierre porte la griffure de l’homme. Elle porte sa sueur, la trace de sa main, de son effort, de sa pensée. Regardez ce qu’il reste des vieilles civilisations, c’est la pierre, les ruines. C’est un livre ouvert, la pierre. D’ailleurs on lit encore aujourd’hui les premiers textes sumériens sur des tablettes d’argile.

Propos recueillis par Victor Guégan.

Cet article est extrait des Carnets de Versailles n°3 (avril – septembre 2013).


« Les voix du poème »,
15e Printemps des poètes

Dire, chanter, crier, murmurer les poèmes où que vous soyez ! Ce slogan pourrait bien être le mot d’ordre du Printemps des poètes de cette année.
Ayant pour thème « Les voix du poème » cette 15e édition sera l’occasion de mettre en avant l’oralité de toute poésie. Elle sera aussi l’occasion de mettre à l’honneur le poète portugais Pablo Neruda, mort il y a quarante ans.
Plus de renseignements sur www.printempsdespoetes.com/

 

 

 


« La perfection m’ennuie
L’équilibre parfait me laisse froid
L’ordre absolu des pierres et des plantes me contrarie
La majesté des lieux répudie le poème
La rigueur est un leurre
La beauté ainsi érigée m’indiffère
Le marbre est un miroir qui s’amuse
Un lac captif d’un ciel si bas
Mais personne n’a le droit de rire à Versailles
»
Tahar Ben Jelloun, extrait du poème « Le professeur d’histoire a de la fièvre »
dans Poètes en majesté

« Ici ni là
Je ne dirai le nom de l’Architecte
Par souci de sa gloire d’ange.
J’habite à côté de Versailles
Un village en mon Île-de-France
C’est là que je vis et travaille
Aujourd’hui il fait beau, il fait beau
sur Versailles
Le ciel est bleu, le soleil luit.
Le Soleil luit »
Salah Stétié, extrait du poème « Écouter Versailles » dans Poètes en majesté

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