L’oeuvre retrouvée
de Coypel

Déplacé, réemployé, complété, restauré plusieurs fois, puis très affecté par les bombardements de mars 1942, le plafond de la salle des Gardes a retrouvé sa splendeur grâce, notamment, au mécénat des American Friends of Versailles

Alexandre Sévère fait distribuer du blé au peuple de Rome. Détail de la voussure. © Château de Versailles / Didier Saulnier.

De tous les décors peints du château de Versailles, le plafond de la salle des Gardes de la Reine est certainement celui qui a connu le plus de mésaventures. À l’origine, l’octogone central et les toiles des voussures, commandés à Noël Coypel (1628-1707), étaient destinés au plafond du salon de Jupiter. Or, celui-ci fut détruit, en raison de la construction de la galerie des Glaces, et laissa place au salon de la Guerre.

Avec ses sujets exaltant la mansuétude des souverains – le triomphe de Jupiter, au centre, et des actes de justice et de piété tirés de l’histoire antique1, dans les voussures – l’œuvre de Noël Coypel seyait davantage au décor du Grand Appartement du Roi. Elle fut néanmoins réemployée, telle quelle, à l’entrée de celui de la Reine. Mis en place vers 1679-1680, ces décors furent alors complétés dans les écoinçons : peints à l’huile sur enduit, de séduisants trompe-l’œil y mêlent aux figures allégoriques en faux bronze des guirlandes de fleurs et des personnages vêtus à la mode du XVIIe siècle.

La Justice récompensante. Ecoinçon sud-est du plafond de la salle des Gardes de la Reine, par Noël Coypel, vers 1681. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux.

Comme pour les autres plafonds peints du Château, celui de la salle des Gardes a connu des interventions de restauration, plus ou moins bien documentées et heureuses, au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Dès 1788, Durameau, Garde des tableaux du Roi, constate que les peintures de la « 5e pièce ou salle des Gardes de la Reine, sont aujourd’hui très sales et écaillées ». Au cours du XIXe siècle, celles-ci ont encore plusieurs fois été restaurées, notamment lors de l’importante campagne de 1814-1815. Mais l’épisode le plus marquant est l’effondrement de la partie centrale du plafond, le 6 mars 1942, lors des bombardements à Boulogne-Billancourt. Ébranlée par de fortes vibrations, la peinture se trouve « déchirée en de nombreux morceaux ». La décision est alors prise de transposer la toile centrale octogonale (c’est-à-dire de remplacer la toile originale par une nouvelle toile) au cours de l’hiver 1943. La couche picturale sera traitée plus tard, dans les années 1950.

Restauratrice en plein travail de retouche sur la voussure de Trajan donne une audience publique. © Château de Versailles / Didier Saulnier.

En 2012, lorsque s’est engagé le projet de restauration avec la commande d’une étude, le plafond présentait un état de conservation des plus préoccupants. Des repeints débordants, des usures, des soulèvements, de nombreux chancis et des vernis oxydés perturbaient grandement la lecture de l’ensemble. Les toiles souffraient de déformations, de cloques et de déchirures. La partie centrale, la plus abîmée, était à 80 % repeinte, et sa matière aplatie par les traitements successifs.

À l’issue de la procédure de marché public, une équipe d’une vingtaine de restaurateurs a été retenue2. Commencé en juillet 2015, le chantier3 s'est terminé en 2017. L’intervention de nettoyage, travail long et méticuleux, a fait apparaître des parties lacunaires et des usures. Elle a, cependant, permis de retrouver l’éclat des couleurs et la lisibilité des formes. Et surtout, elle a dégagé des parties entièrement originales de la main de Noël Coypel qui, sans doute, a exécuté les quatre toiles des voussures alors qu’il était directeur de l’Académie de France à Rome. Il est, en effet, relaté par Roger de Piles que l’artiste « peignit à Rome les tableaux destinés pour le Cabinet du Conseil du Roi à Versailles et qui par les changements qui sont faits en bâtissant la grande Galerie, se trouvent à présent dans l’Appartement de la Reine. Ces tableaux furent exposés dans Rome à une fête qui se fit à la Rotonde et reçurent un applaudissement général »4.

Quant au traitement de la structure du plafond, il a redonné une planéité aux toiles déformées et une cohésion aux écoinçons. En septembre 2016, a donc pu commencer la dernière étape de la restauration : la réintégration de la couche picturale. Comme pour le nettoyage, les restaurateurs ont procédé prudemment, à partir d’essais. Ils ont remonté les usures par la pose de glacis et mastiqué les lacunes. Avec un objectif clair : mettre en valeur l’original restant tout en redonnant une unité harmonieuse à l’ensemble de cette composition, tant éprouvée. Du haut de la salle des Gardes, ranimés par des couleurs d’une rare subtilité, Solon, Trajan, Alexandre Sévère ou Ptolémée Philadelphe, et les nombreux personnages qui les entourent, ont pu enfin reprendre vie.

Béatrice Sarrazin,
Conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

 

1. Ptolémée Philadelphe accorde la liberté aux esclaves juifs d’Egypte (ouest) ; Solon défend ses lois devant les Athéniens (sud) ; Trajan donne une audience publique (est) ; Alexandre Sévère fait distribuer du blé au peuple de Rome (nord).

2. Florence Delteil (mandataire), Isabelle Leegenhoek et Emmanuel Joyerot (co-mandataires).

3. Pour ce chantier, la conservation du Château a bénéficié de l’assistance scientifique et technique du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF). Un comité scientifique a été constitué pour en suivre les étapes.

4. Roger de Piles, Abrégé de la vie des peintres avec des réflexions sur leurs ouvrages, 1715, p. 529.

Solon soutenant la justice de ses lois contre les objections des Athéniens, par Noël Coypel, 1672-1674. Voussure sud du plafond de la salle des Gardes de la Reine. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux.


Le mot de Catharine Hamilton, fondatrice et Présidente des American Friends of Versailles, membre du Conseil d’Administration de la Société des Amis de Versailles.

« Le château de Versailles occupe depuis toujours une place privilégiée dans l’histoire des relations franco-américaines. Une histoire qui a commencé avec Benjamin Franklin, John Adams et Thomas Jefferson, s’est poursuivie avec la signature, dans la galerie des Glaces, du traité de Versailles, mettant fin à la Première Guerre mondiale, et a pris une autre tournure quand, dans les années 1920-1930, John D. Rockefeller apporta une contribution exceptionnelle à la restauration du Château. La statue de la Liberté, cadeau de la France aux États-Unis, continue aujourd’hui de symboliser les lumières des valeurs universelles qui nous lient.

Créés en 1998, les American Friends of Versailles (AFV) sont une organisation sœur de la Société des Amis de Versailles, entièrement bénévole et destinée à promouvoir une amitié durable entre nos deux pays. Notre but, outre celui de lever des fonds pour le Château, est de continuer à sensibiliser le public américain à la grandeur de Versailles et à son histoire.

Nous privilégions des projets qui ne verraient pas le jour sans un apport privé. En plus de soutiens ponctuels à des projets divers, les AFV ont financé la restitution du bosquet des Trois Fontaines en 2004, la restauration du Pavillon Frais dans les jardins de Trianon en 2010, et maintenant celle du plafond fort abîmé de la salle des Gardes de la Reine, avec le décor peint par Coypel. J’ai eu le privilège et l’honneur de grimper les marches de l’échafaudage permettant de contempler de près, à partir d’une plateforme temporaire, le travail magnifique exécuté depuis des mois par des restauratrices dont les gestes experts m’ont profondément émue. Une expérience que je n’oublierai jamais.

Les American Friends of Versailles sont heureux et fiers de travailler, main dans la main, avec les Amis de Versailles et tous ceux qui ne cessent d’œuvrer, avec une immense compétence, à la conservation et à la restauration du Château à laquelle nous sommes également très attachés de l’autre côté de l’Atlantique ».


La Société des Amis de Versailles a complété le financement de la restauration de la salle des Gardes de la Reine, en prenant en charge les marbres, les menuiseries bois, les deux tableaux de Noël Coypel, L’Enfance de Jupiter et Le Sacrifice de Jupiter, ainsi que les bronzes et plombs dorés.

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